Nous avons vu que le 10 Février 1830 le maire de Bournan, Mr Charles Roy demande une modification des limites de sa commune et propose un échange de territoire avec la commune voisine de La Chapelle Blanche. Par son maire, Mr Benjamin Harang, cette commune s’y oppose catégoriquement. Au point que le département désigne un géomètre de cadastre pour analyser les positions.
Bournan souhaiterait que les limites avec La Chapelle Blanche s’appuient sur des chemins et tracés matérialisés par des éléments naturels (chemins, fossés…et non sur des « lignes à vole d’oiseau »), et que les hameaux de la Durelière et de la Davière soient rattachés à Bournan. Pour ce faire, Bournan propose un nouveau tracé de la partie est de la commune. La demande est ainsi formulée (Fig1):
« Partant de la jonction du chemin de Bossée à Ligueil avec le fossé séparant la pièce des trois poiriers appartenant à Mr le Comte de Gasville des Bruyères des Jumeaux, (il est souhaité que) la limite (communale) soit d’abord formée par le dit fossé qui sert déjà de limite entre Bournan et Bossée jusqu’à la rencontre à gauche, de celui qui sépare à cet endroit les tailles de la Milleraie et celle de Jumeaux qu’il traverse, elle se dirigerait par ce fossé ainsi que par le chemin qui le longe, puis par ceux de Grillemont à Sainte Maure, et de ce dernier aux Turmelleries, enfin par ceux des Turmelleries aux Boirieaux, de la Chapelle à la Durelière, et de ce dernier lieu du moulin de Gruteau jusqu’au milieu de la rivière la Ligoire, point qui serait alors commun au territoire de Bournan, la Chapelle Blanche Saint Martin et Ligueil. Ces chemins traversant celui de Bournan à La Chapelle et de La Davière aux Fontaines Blanches, laisseraient sur Bournan les domaines et villages de la Durelière et de la Davière, et sur La Chapelle les Turmelleries et le moulin de Gruteau qui en fait déjà partie. Par cette proposition Bournan prendrait à La Chapelle environ 120 hectares de terres et de vignes et les villages et domaines de la Davière et de la Durelière, en tout quinze habitations, et céderait en compensation environ 134 hectares de terre, près de première qualité, bois et vignes, et les domaines de Géron, la Renardière, les Termelleries et le village de la Gesnière, en tout dix habitations. »
Monsieur le Maire de Bournan observe que cette limite est bien plus naturelle que celle qui existe maintenant en ce qu’elle serait formée dans toute son étendue par des chemins et qu’elle ferait disparaître des lignes à vol d’oiseau coupant un grand nombre de propriétés, que d’un autre coté les habitants qui résident dans les villages et domaines de la Davière et de la Durelière désirent ardemment être réunis à Bournan dont ils sont très rapprochés et où leurs affaires les appellent journellement, plutôt que de faire partie de La Chapelle dont ils sont très éloignés et dont les chemins sont impraticables pendant l’hiver ».
Le maire de la Chapelle Blanche manifeste son opposition qui est consignée dans le document du géomètre:
« Monsieur le Maire de La Chapelle-Blanche s’oppose formellement à l’adoption de la modification proposée, observant que cette nouvelle limite blesserait les intérêts de la commune en lui enlevant une population considérable et en lui substituant de très mauvaises terres à d’autres de bonne qualité, et que la perte de ces habitations diminuerait de beaucoup les ressources de la commune qui sont déjà très faibles pour faire face aux dépenses ordinaires. En conséquence il demande donc que les limites qui existent actuellement soient maintenues… »
Le Directeur des Contributions directes qui est la personne qui doit arbitrer entre les positions des communes et statuer quant au travail du géomètre, propose le 29 mai 1830 au Préfet d’Indre et Loire: « d’approuver immédiatement la délimitation de la dite commune de Bournan ainsi qu’elle est indiquée par le dit procès verbal du 18 février 1830… «
A la suite de cet avis le Maître des requêtes du Département d’Indre et Loire arrête le 2 juin 1830: « Les limites der la commune de Bournan…avec la commune de La Chapelle Blanche seront fixées ultérieurement par ordonnance royale ». Ce qui a été fait, nous l’avons vu, le 8 mars 1832.
Il y aurait beaucoup de choses à dire sur cette modification des limites communales entre Bournan et La Chapelle Blanche. Et d’abord que tous les arguments évoqués sont justes: les anciennes limites difficiles à matérialiser, la proximité de la Durelière et de la Davière du bourg de Bournan, la perte significative d’habitants pour la Chapelle Blanche, et sans doute aussi la moindre qualité des terres reçues dans l’échange (d’où la surface légèrement plus importante allouée à La Chapelle Blanche).
On peut vraisemblablement imaginer que le géomètre, responsable au fond de la décision, a soutenu l’argument de Bournan en faveur d’une délimitation plus facilement « cadastrable ». Pourtant cet échange de territoires modifie vraiment les communes.
Si la Chapelle Blanche a perdu du coté de la Ligoire (la Davière et ses pentes), elle a beaucoup gagné du coté de la Riolle avec Géron et son gué, la Gesnière, les Termelleries et le gué Joubert.
Par contre la perte d’habitants est beaucoup plus importante que ce que laissait entendre le document du géomètre. Entre les recensements de 1821 et celui de 1841, Bournan gagne 103 habitants (482 contre 585) tandis que la Chapelle Blanche en perd 21 (en passant de 950 à 929). Nul doute que le passage de la Davière à Bournan joue un rôle considérable dans la bascule démographique (et donc des impôts).
On est un peu surpris que le maire de la Chapelle Blanche n‘ait pas produit de chiffres précis de la perte de population attendue (de l’ordre de 10%) par la modification des limites communales; ni sur les rendements des terres échangées: que valaient les argiles pauvres des Renardières et des hauts de Géron contre les pentes ensoleillées de la Davière?
Et en fait, si on s’attarde sur les noms des édiles municipaux qui assument la modification des limites communales, on voit bien que cet évènement fut un grand succès pour l’équipe bournanaise et un échec pour les chapellois:
- Le maire de la Chapelle Blanche, Benjamin Harang, qui avait été nommé le 16 février 1829 avait déjà cédé sa place à François Leclerc le 19 novembre 1830, lui même remplacé dès le 3 décembre 1830 par Martin Leclerc, puis Laurent Dupont en 1831, renouvelé ensuite jusqu’en 1846. Une certaine instabilité qu’on pourrait interpréter comme un mal être communal.
- Le maire de Bournan Charles Roy quant à lui avait été nommé le 2 janvier 1826. Il avait lui même nommé parmi les « indicateurs » de Bournan auprès du géomètre, la personne qui lui succédera à la Mairie, Joseph Marchau, Maire dès le 6 novembre 1830, puis jusqu’en 1878! Stabilité remarquable.
Signalons encore que le conseil municipal de Bournan dans sa séance du 27 avril 1941, sous la présidence de Mr Chaumont, Maire, a actualisé le procès verbal de délimitation du 10 février 1830 en précisant les changements survenus depuis un siècle dans le réseau des voies de communication et la configuration parcellaire.
Dans la France profonde, dans la vallée de la Riolle, l’histoire se mesure en siècles. Une force considérable et respectable.
Très intéressant, et assez étonnant vu d’aujourd’hui! Merci
Très intéressant, et étonnants échanges, vus d’aujourd’hui !