La mairie est dans une commune un bâtiment important, en général placé dans un endroit stratégique du centre bourg et souvent riche d’une histoire particulière. Parfois la mairie est installée de longue date dans un bâtiment prévu à cet effet. Mais la plupart du temps les mairies des petits villages ont connu des déménagements successifs; pour s’adapter aux conditions créés par la Révolution, mais aussi pour disposer de locaux plus modernes et suffisamment grands.
On sait qu’au début du 20 ième siècle, lors de la construction de l’école de la Chapelle Blanche Saint Martin, un local spécifique y fut adjoint pour y transférer l’ancienne mairie.
Ce n’est qu’au début des années 60 que la décision fût prise de transférer la mairie de la Chapelle Blanche Saint Martin dans le bâtiment où elle est aujourd’hui installée. Ce bâtiment a une histoire que bien des chapelloises et chapellois ont connue et que nous souhaitons rappeler.
Notre actuelle mairie est installée dans un ancien bâtiment commercial créé par Jules Saulquin (né en 1846), à l’angle de la place Jasnin et de la rue d’Angé d’Orsay. Cet homme entreprenant, né à la ferme des Saulquin à la Chapelle Blanche, a participé à la guerre de 1870. A son retour, il adjoint une épicerie à l’huilerie que son père Pierre avait créée sur la place Jasnin récemment libérée par le transfert du cimetière vers la route de Manthelan.
Marié en 1880 Jules, qui a 6 fils, conforte son commerce (Fig1) et fait construire vers 1900 l’immeuble qui est actuellement utilisé pour les services municipaux de la commune.
Son fils Gabriel (né en 1884) qui a repris l’épicerie en 1904 étend l’activité en y adjoignant le commerce de grains qu’il stocke et revend après les moissons. Son propre fils, Georges, en 1946, reprend l’ensemble. C’est lui qui a fait ouvrir la porte sur la façade d’angle du bâtiment. Mais, la guerre ayant totalement modifié les circuits commerciaux, et les nouveaux matériels agricoles révolutionné le travail des fermes, le commerce des grains et de l’épicerie ne permettent plus de faire vivre une famille. Le commerce cesse en 1959 et le bâtiment est vendu à la commune en 1962. (Fig 2 à 6)
Si les maisons pouvaient raconter l’histoire des familles qui y ont vécu…si les villages pouvaient se souvenir de ce qui les a faits… si le pays pouvait affirmer et transmettre ses valeurs…
Fig 2: 1923? Cette image a probablement un siècle. L’électricité n’est pas installée et les seuls véhicules visibles sont des voitures à chevaux. L’épicerie Saulquin est à gauche, sur la façade qui donne sur la rue principale. Quelques personnes sont visibles sur le trottoir devant la boutique. Le bâtiment construit est encore d’allure neuve. En retrait sur la gauche de l’image, l’huilerie surmontée par une petite lucarne. Une pierre marque l’angle de l’ancien cimetière. On a dit un moment que cette pierre était la meule du moulin de l’huilerie qui aurait été déposée là. Cette meule écrasait les noix écalées à la veillée pour produire l’huile que récupéraient les familles.
La carte postale est éditée par l’épicier lui même, comme c’était en général le cas dans les commerces de cette époque.
La maison sur l’autre coté de la rue présente une porte cochère voutée. C’est là qu’habite Mme Gautier une veuve de guerre, qui épousa en 1900 en première noce, à 15 ans, Jules Emile Gentilhomme, né à Cognet (la Chapelle Blanche), mort des blessures reçues d’éclats d’obus, le soir de Noël 1915, sur un brancard d’ambulance en Belgique. Mr. Gautier est bourrelier et le cheval, à droite, est arrêté devant son atelier.
La boutique au fond de l’image, entre les deux carrioles, est celle de Mr Croué, boucher, et de son épouse.
Fig 3: 1935? Cette carte postale, encore éditée par l’épicier, date d’après l’installation de l’électricité en 1931: des branchements sont visibles sur toutes les maisons et un poteau d’éclairage public a été installé au coin de la place. Au moins une quinzaine de personnes ont pris la pose. Sur la maison d’en face, dont le mur porte maintenant une publicité Citroën, la porte cochère a été modifiée pour créer une porte plus étroite. Mr Gabriel Saulquin est devant cette porte, à droite de la photo.
Des travaux semblent en cours sur la place Jasnin: on voit des grosses pierres devant l’huilerie (à moins qu’il ne s’agisse de caisses…) et un tas de cailloux sur la gauche. L’angle de la place est toujours marqué par la grosse pierre et une pancarte indicatrice penche du coté où elle va tomber.
Fig 4: 1935? Vue sous un autre angle des commerces Saulquin. Le camion, acheté au début des années 30, est garé devant l’huilerie dont on voit la fenêtre à l’avant du camion. La famille (on retrouve Mr et Mme Saulquin devant le camion) et le personnel figurent sur cette belle photo qui témoigne de l’activité entre les 2 guerres. On distingue bien le poteau électrique à droite près du dernier arbre de la place et de la pancarte indicatrice penchée. Le tas de cailloux est toujours là et la pierre d’angle aussi. Les photos 3 et 4 ont-elles été prises le même jour?
Fig 5: 1940? C’est l’épicerie/ hôtel Guimpier qui est l’éditrice de cette carte postale qui est plus tardive que les images précédentes. Les arbres ont à peine grandi. Une borne Michelin a remplacé le panneau indicateur penché. La grosse pierre n’est plus là. Mr Gabriel Saulquin est sur le trottoir devant son épicerie tandis que la lavandière, Mme Bernier traverse la route déserte.
Fig 6: 2022. Vue de la mairie dont la porte d’entrée principale correspond à l’entrée de l’écurie d’avant les années 30. Les fenêtres basses des bureaux municipaux sont à l’emplacement de l’huilerie. La porte d’angle donne accès à la salle du conseil municipal, également utilisée lors des différents scrutins. Il n’y a plus aucune trace de l’épicerie sur la façade de la rue d’Angé d’Orsay. Les arbres ont grandi sur la place, le poteau électrique a été enlevé ainsi que tous les branchement en façades. La voirie est refaite et la signalétique au sol bien visible. Une sirène a été ajoutée sur le toit. La borne Michelin a disparu.
La très belle meule en pierre de l’huilerie, dont on avait dit qu’elle était restée longtemps à l’angle de la place, a été transférée à l’ancien lavoir du Petit Poisson; où elle est toujours, à peine visible en contrebas de la route. Ne pourrait-on pas la ramener sur la place Jasnin où elle a officié si longtemps. Ne pourrait-elle remplacer la maquette de l’éolienne qui a rendu bien service mais dont l’objet a heureusement disparu?
Au fond de l’image on voit toujours la devanture: c’est devenu une boulangerie pâtisserie; qui maintient une petite épicerie de secours pour les villageois qui ne peuvent se déplacer vers les « grandes surfaces ».
Si l’on rapproche les Fig 3 et 6, ce qui frappe c’est la désertification.
Bravo! Toujours aussi intéressant et instructif!
Merci de votre avis positif. Nous essayons de poser notre regard sur tout ce qui fait et a fait notre belle vallée de la Riolle.
Il faut savoir remercier celui qui prend le temps de contacter les bonnes personnes, de rechercher des notes, des informations dans les archives pour les additionner et en faire ce qu’on attend, à savoir un récit captivant et agréable à lire, bien documenté par l’apport de rares photos et ou cartes postales anciennes relatant un épisode ou un fait historique de notre commune.
Cette ancienne huilerie artisanale en fait partie. Bravo pour la réalisation de ce travail magnifique, et…MERCI
Merci de votre commentaire élogieux.
En fait, dans nos petites communes de campagne des personnes dévouées conservent des documents qui sont au coeur de la mémoire de la vie réelle, telle qu’elle fut et qu’il ne faut pas perdre. Il suffit de se mettre à l’écoute, de recueillir les images ou les mots amassés et de les mettre en forme pour que le plus grand nombre se souvienne d’où l’on vient; pour ne pas oublier celles et ceux qui ont fait notre commune, nos paysages, notre pays. C’est l’objet de ce blog pour les 4 communes de la Riolle.
En fait, pour ce post c’est Madame Marcelle Saulquin qu’il faut remercier, elle qui a tenu pendant des années cette épicerie disparue, et qui a dû quitter le bourg pour que sa famille survive; et qui, par surcroit, a conservé les éléments matériels qui permettent de raconter l’histoire. N’est ce pas un honneur de pouvoir bénéficier de la confiance de personnes qui conservent et transmettent en toute liberté, en toute gratuité, ce que nos élites ne conçoivent même plus: la mémoire de ce que l’on est?