La collecte et la distribution du courrier et de colis à l’origine de la poste, furent complétées ensuite par l’exploitation du télégraphe et du téléphone. En réalité si l’on regarde ce qui s’est passé pour une commune comme La Chapelle Blanche Saint Martin on voit (en reprenant, entre autres éléments, les documents de Madame Raymonde Janvier disponibles sur le site de la mairie), que la poste est un service assez récent.
La Malle-poste créée en 1829, servait surtout au transport des lettres et des paquets. Elle était plus « rapide » que la diligence (60 heures pour faire Bordeaux-Paris, chevaux au trot) car les chevaux allaient au galop; mais il fallait en changer tous les 15 km. Ce service de malle-poste desservait Loches, Ligueil, Sainte-Maure. Le courrier pour La Chapelle Blanche arrivait à Ligueil et le facteur devait le distribuer, à pied, guère plus de 2 ou 3 fois la semaine aux destinataires. C’est lui aussi qui reprenait les très rares lettres de la commune à expédier.
Le chemin de fer arriva à Tours en 1846 et bien entendu la distribution du courrier bénéficia de ce progrès, même si c’est seulement à partir de 1850 que le service fut vraiment utilisé. Une « voiture » était alors utilisée pour le transport des colis et du courrier à partir de Tours. Une délibération municipale datant de fin 1872, précise que la « voiture » passait à La Chapelle à 7 h le matin en direction de Tours et à 19 h en direction de Ligueil. Le courrier pour La Chapelle Blanche n’était cependant pas déposé dans la commune car les lettres à y distribuer devaient obligatoirement être tamponnées au bureau de poste de Ligueil. Elles ne revenaient donc que le lendemain dans la commune (… au plus tôt). Quant à celles que l’on voulait expédier, on les déposait dans une boîte aux lettres située au point d’arrivée de la « voiture ». Elles allaient aussi à Ligueil pour être oblitérées avant de repartir le lendemain pour leur destination. L’acheminement du courrier était donc assez lent pendant la seconde moitié du XIX° siècle. Pourtant le conseil municipal de la Chapelle Blanche refuse encore en 1892 d’ouvrir un bureau de poste; au motif qu’il fallait pendant 18 ans entretenir le bâtiment du bureau de poste.
« Avec l’arrivée du chemin de fer en 1889 à la Chapelle Blanche, les lettres furent peut-être expédiées un peu plus rapidement car on pouvait les déposer dans une boîte aux lettres à la gare. Mr Lion le chef de gare, payé pour cela 12 Francs par an, les remettait au conducteur du train, mais la distribution se faisait toujours par l’intermédiaire du bureau de poste de Ligueil ». (Janvier)
Pour ce qui concerne le télégraphe, en 1865, « le gouvernement souhaite faciliter la création d’un bureau télégraphique qui pourrait être installé dans une salle de la mairie ou de l’école, et confié à un agent municipal ou à l’instituteur ». Mais l’école n’est toujours pas construite!
C’est en 1910 ou 1911 que le réseau téléphonique commence à être installé. L’Etat prend en charge la moitié du coût global. Pour la commune c’est donc 2265 Francs qu’il faut trouver. Et ce sera fait assez facilement par souscription auprès des particuliers. Le réseau est installé simultanément à Ciran et Vou, puis prolongé jusqu’à Sainte Maure en 1923. L’abonnement annuel est de 200 Francs et le prix de la communication de 0,30 Franc. C’est Michel Viau, négociant en porcs, à Cosnier, qui sera le premier abonné à la Chapelle Blanche. En 1926 il semble qu’il n’y avait qu’un seul abonné supplémentaire: Mr Guimpier pour l’Hotel Bellevue.
C’est donc vers 1911 que le bureau de poste a du être installé au coin de la « Rue de la poste ». Le recensement de cette année là signale Mr Vallier comme facteur receveur des postes et Mr Poirier comme facteur piéton. En 1912, Mr Eugène Estique est nommé piéton distributeur de télégrammes (50 Frs par an en plus de sa charge de garde champêtre pour 400 Frs)
Pour les colis, au début du siècle le chemin de fer semble concurrencé par des « messagers »: l’un en automobile (Mr Gadin) qui fait le chemin entre Tours et Ligueil, Mardi et Vendredi, l’autre en voiture à cheval, mercredi et samedi, livrant les colis tout le long du trajet.
En 1931 l’entreprise d’autocars Destruel créée à Ligueil, et desservant les écarts, ruine les messagers. En 1933 une compagnie concurrente tente de s’installer (Cars Letournier) proposant 3 allers et retours par jour vers Tours; mais elle fait faillite en 1936.
Un gros problème a été posé par le propriétaire des lieux en 1928 pour le maintien de la poste dans son local initial, imposant de trouver un nouvel emplacement. Ce nouveau bureau de poste sera installé dans les années 30 dans un bâtiment de la même rue mais sur le coté opposé, et plus proche de l’église. Madame Janvier précise à son sujet : « L’actuel bureau de poste qui avait servi de presbytère à l’abbé Marcault jusqu’en 1905, comportait 2 logements appelés presbytères nord et sud. Celui qui avait occupé la partie nord étant parti (Mr Robin) restait la partie sud louée par le garde champêtre (Mr Estique). Il accepte de partir au nord et de laisser la partie sud pour loger le facteur receveur Mr Vallier. » Régina Vallier cessera son activité de porteuse de dépêches en 1935 et sera remplacée par Mme Martinaud. En 1936, Mr Guillaume, facteur receveur à la Chapelle Blanche demande à occuper aussi la partie nord du bâtiment où il logeait. Il quittera avec sa famille la poste de la Chapelle Blanche pour celle de Gizeux dans les années 54-55.
Si l’on compare les cartes postales de la Rue de la Poste en 1911 et 1930 on peut faire quelques observations interessantes. (Cliquez sur les images pour les agrandir)
En 1911 (Fig1) la photographie précise bien qu’il s’agit de la Rue de la poste et le panneau au dessus de la porte de la poste signale effectivement « Poste »; sans plus. La rue est pittoresque, les escaliers et arbustes qui le décorent donnent un cachet intimiste au paysage dans lequel les villageois semblent être « comme chez eux ». La rue ne semble pas pavée et le préposé des postes, débonnaire sur le seuil de son bureau, n’a pas l’air impressionné par les missives qui seraient dans la boîte aux lettres, en façade, à sa droite. A l’angle de la poste on aperçoit, en hauteur, le support métallique qui sert à pavoiser le bâtiment et le village dans les grandes occasions.
En 1930 (Fig2) les escaliers, en partie dégradés, attirent moins le regard dans la rue de la poste; mais le paysage reste attrayant. Au dessus de la porte de la poste on voit qu’on a ajouté à la pancarte « Téléphone » et « Télégraphe ». Sur le petit pignon portant le support de pavois, on voit la plaque émaillée indiquant « Cabine téléphonique ». Elle doit être ancienne car le ruissellement de la pluie à partir du support de pavois a marqué de rouille la plaque émaillée. En dessous on voit une affichette proposant des bons pour la Défense Nationale. La poste est devenue une quasi succursale de la sous préfecture. La carte postale a été faite à l’initiative de Gabriel Saulquin (identifié comme éditeur sur celle ci) qui était épicier à la Chapelle Blanche et en assurait la vente. C’est sans doute la raison pour laquelle il s’est mis au premier plan sur la gauche. La femme qui est derrière lui est Madame Bernier, lavandière, identifiable avec son battoir et sa brouette de linge. La lessive se faisait à la fontaine de la croix paradis.
En 1950, (Fig 3) la photo n’est plus identifiée comme une carte postale. L’escalier est en triste état et, même si la rue est bien nivelée avec de beaux caniveaux elle a perdu de sa superbe. Et puis les habitants semblent évaporés. La poste n’est plus dans le bâtiment au coin de la rue. Elle a été déplacée plus loin vers l’église, sur le trottoir d’en face, dans le bâtiment carré, avec un toit en pente sur le pignon et une fenêtre sur ce même pignon, avec un battant de volet ouvert ( au centre de l’image). Un grand mur, en bon état clôt un jardin de centre-bourg.
En 2020, (Fig4) les escaliers ont disparu. La route est bien entretenue et un parking propre a été installé à la place du jardin qui était derrière le grand mur. De beaux rosiers ont été plantés de chaque coté de la rue et redonnent un certain cachet à cet endroit autrefois si vivant. La rue ne s’appelle plus la Rue de la Poste mais la Rue de l’Abbé Favoreau.
Ces 4 images résument cent ans de l’évolution d’un village de la campagne française.
Aujourd’hui, en 2022, il n’y a plus de poste à la Chapelle Blanche, ni de services centralisés de télégraphie ou de téléphonie. Internet a remplacé tout cela. Ne restent que quelques courriers qui transitent encore par la boîte aux lettres (près de la boulangerie), et le bar de l’hôtel Bellevue rend quelques services « postaux » de premier niveau. La fibre optique est en cours de déploiement pour tenter de combler les carences de l’internet dans nos campagnes « périphériques », loin des pouvoirs.
En quatre générations notre petit territoire est passé de l’installation de services publics centralisés de communication, à l’organisation de moyens individuels adaptés à une communication mondialisée instantanée. La malle-poste, le train, les « voitures », les autocars ont disparu et cédé la place à des transporteurs qui distribuent en continu les commandes faites par voie électronique dans les entrepôts gigantesques d’entreprises planétaires.
Nous étions Rue de la poste; nous voilà à Amazon City ou dans Google Earth…et nous n’avons rien vu venir! Et la suite, vous la voyez comment?
Merci pour cet article très intéressant. Il n’y a pas que l’histoire de l’arraisonnement du monde par la technique qui permet de comprendre l’évolution de notre monde. Il y a aussi, en parallèle, l’histoire politique et sociale. Les gens ont, au 20ème siècle, quitté les petits villages pour aller à la vivre près de la grande Ville. Cela explique aussi la disparition d’un certain nombre de choses… et je n’ai pas vraiment l’impression quand je suis à la Chapelle d’être à Amazon city ou dans google earth (que je ne vois pas uniquement sous un jour négatif d’ailleurs)… La réflexion de Michel Serres sur la technologie me parait intéressante : l’homme est un animal qui « perd ». L’arrivée de l’imprimerie a bouleversé l’univers des humains. Ils y ont gagné des choses, et perdu des choses. Qu’avons-nous gagné avec internet ? qu’avons-nous perdu ? Je n’ai pas le recul pour en juger, et je suis né dedans. Par ailleurs, notre société, à nouveau, ne s’est pas transformée uniquement sous l’effet des technologies… Les banlieues parisiennes ont été autant et peut-être plus transformées par l’immigration que par la technologie…
Merci pour cet article ! Très intéressant.