Extraits d’un article de Monsieur Christian de Saint Seine, Maire de la Chapelle-Blanche, paru en octobre 1982 dans le numéro 4 du Magazine de la Touraine.
… « Dès septembre 1939 ce fut l’exode vers la Touraine des différents ministères, évacuant de Paris leurs archives et leur personnel. Grillemont était réquisitionné pour loger le ministère du Commerce, section des Marques et Brevets. Une trentaine de personnes occupaient les trois quarts du château pour leur logement, bureaux et archives… Lors de l’avance des troupes allemandes à travers la France en juin 40, un flot de réfugiés déferlait vers le sud, sur la route de Loches à Ligueil (la route Ligueil-Tours par la Chapelle-Blanche était réservée aux services des ministères et de l’Armée) semant la panique par leurs récits de mitraillage des colonnes de réfugiés par les avions allemands et italiens. Il aurait pu sembler logique de ne pas s’exposer à de tels risques et de rester chez soi, mais la panique est plus forte que le raisonnement; et après tout on espérait encore que l’Armée française arrêterait l’ennemi quelque part…avant les Pyrénées. Ce ne fut pas le cas et le 21 juin 1940 à 15h 30, 25 motocyclistes allemands arrivaient à la Chapelle Blanche. Les dernières troupes françaises avaient quitté Grillemont à 4h ce matin là, Grillemont déjà évacué en hâte par les employés du ministère, partis à pied, en bicyclette, en charrette, depuis plusieurs jours.
Le 22 juin arrivait l’Intendance allemande et le 23 juin l’Artillerie avec 500 chevaux qui eurent tôt fait de faire les foins dans les prés…le 25 juin l’armistice était signé et le champagne coulait à flot chez nos occupants, cassant derrière eux les verres réquisitionnés pour célébrer leur victoire.
Ce fut ensuite l’établissement de la ligne de démarcation, en limite du village de Vou, à 4 km de la Chapelle-Blanche, et l’installation à Grillemont d’une caserne de douaniers (jusqu’à une trentaine). Chaque jour, à bicyclette ils traversaient la Chapelle, allant faire leur ronde sur la frontière. Même la nuit, accompagnés de chiens policiers, ils surveillaient l’accès à la « zone libre ». Ils vérifiaient aussi les identités des voyageurs descendant des cars et de la micheline. Les personnes arrêtées à proximité de la ligne, celles qui ne pouvaient pas justifier leur identité ou la raison de leur présence, étaient arrêtées et conduites à Grillemont et emprisonnées. Aucun interrogatoire, aucune torture n’y avait lieu. Deux ou trois fois par semaine un car passait à toutes les casernes du secteur, et emmenait sa triste cargaison à la prison de Tours.
Comme toute administration, l’Intendance allemande était imperméable aux changements, et les modifications d’effectifs, de bouches à nourrir que les rafles de prisonniers amenaient à Grillemont la laissaient de glace. Les douaniers n’avaient pas de ravitaillement pour ces malheureux qui faisaient signe par les fenêtres qu’ils avaient faim. Il fallut donc s’organiser: chaque jour les douaniers nous indiquaient le nombre de prisonniers présents; nous leurs préparions de quoi manger, et en fin de mois, le Secours National envoyait à « l’annexe de prison départementale de Grillemont » les tickets de pain et de produits alimentaires correspondant aux repas servis. Au total 846 personnes transitèrent par Grillemont; ce chiffre est attesté par un tableau récapitulatif peint sur le mur du bureau du chef (et conservé depuis comme souvenir historique de cette pénible époque) avec le nom des douaniers et le nombre de leurs prises. Tableau de chasse à l’homme en quelque sorte. Il n’y eut que deux évadés de cette prison, située au deuxième étage: deux officiers polonais échappés d’un camp allemand en Prusse orientale, et qui ne pouvaient supporter d’avoir fait tant de milliers de kilomètres pour échouer à la frontière même de la liberté. Ils partirent par les toits et les gouttières, en plein jour. Les allemands clouèrent ensuite les volets sur les fenêtres et bloquèrent celles-ci. »
… « Rares doivent être les français de la Chapelle-Blanche qui n’aient pas aidé à cette époque leurs compatriotes ou alliés à échapper à la botte nazie. C’est une des fierté de la Chapelle-Blanche de compter parmi ses enfants l’abbé Dupont dont le rôle fut important et actif dans la résistance. C’est le 20 février 1943 que les douaniers, inutiles depuis l’annexion de la zone libre, quittaient Grillemont avec armes et bagages…Les allemands avaient réquisitionné la clinique Saint-Gatien à Tours, et Grillemont fut requis pour recevoir toute la communauté des religieuses et leur chapelain…Leur présence évita à Grillemont la réquisition par les troupes allemandes se repliant en 1944 vers le nord. Elles s’installèrent seulement quelques heures, mitrailleuses en batterie tout autour du château, attendant de pied ferme le maquis…On ne vit pas d’Armées française ou américaine dans le secteur, leur action se situant plus à l’ouest. La libération de la Chapelle-Blanche se passa donc sans heurts ni batailles, bien avant celle de Paris ».
Un autre élément important de l’occupation de La Chapelle-Blanche figure dans les riches documents mis en forme par Raymonde Janvier et qui furent publiés dans les bulletins de la commune dans les années 80-90. Dans le N° 16, de 1993, page 45, Mme Janvier écrit: « Une des premières victimes de cette occupation sera l’Abbé Favoreau que les allemands voulurent questionner à la Mairie sous la menace d’un revolver. Terrorisé il ne se remit jamais de son émotion et mourut en Août 1940 ».
Nous avons délibérément choisi de débuter l’ensemble des posts qui évoqueront la guerre dans la vallée de la Riolle par le dernier épisode: celui de la seconde guerre mondiale. Nous évoquerons plus tard tous les évènements qui se sont déroulés dans notre vallée pendant les autres guerres (14-18 et 1870), ainsi que les manoeuvres militaires qui s’y déroulèrent, sans oublier les guerres de religions et ses conséquences, ni la bataille dite de Poitiers…
On aimerait déjà que le chapitre soit clos; mais se souvenir n’est-il pas un moyen de préparer l’avenir?