Dans un post précédent nous avions eu l’occasion de signaler que la ligne de démarcation coupant la commune de Vou en deux partie, la commune de La Chapelle Blanche devenait fatalement une commune propice aux passages clandestins vers la zone libre.
En fait, le découpage de notre pays entre « zone occupée » et « zone libre », institué par la convention d’armistice du 22 juin 1940, concerne 13 Départements, dont l’Indre et Loire et durera jusqu’au 1er mars 1943.
Comme on le voit sur les cartes 1 et 2, si aucune des communes de la Riolle n’était directement divisée par la ligne de démarcation, 3 d’entre elles sont limitrophes de communes divisées par la quasi frontière imposée par l’occupant. Seule Sepmes n’est pas dans ce cas; mais nous verrons que cette caractéristique ne l’a pas mise à l’écart des actions de résistance. Au contraire.
Beaucoup de Français, ou d’étrangers ayant besoin de passer clandestinement en zone libre avaient compris que cette ligne de démarcation n’était pas hermétique même s’il était dangereux de vouloir la franchir. Des faits bien documentés, le souvenir de martyrs et de citoyens anonymes de nos 4 communes montrent à quel point elles ont été impliqués dans les évènements causés par cette ligne, pendant trois ans; des régions tout à fait paisibles ont été transformées en des lieux stratégiques et tactiques, bouleversant la vie quotidienne de leurs habitants.
En réalité ce sont des milliers de personnes qui ont franchi clandestinement la ligne de démarcation à partir des 4 communes de la Riolle: des civils voulant maintenir ou rétablir des contacts de l’autre coté de la ligne, des soldats en permission « rentrant » de leur coté, des jeunes souhaitant s’engager dans l’armée avec les alliés, mais aussi et surtout des prisonniers évadés des camps, de soldats ou aviateurs alliés, des réfractaires au STO, et bien sûr des juifs. (Fig 3 et 4)
Face à ce flot de personnes voulant franchir clandestinement la ligne de démarcation, des enseignants, des paysans, des membres du clergé, des commerçants ou professions libérales, mais aussi des notables, jeunes ou vieux, ont pris le risque d’aider les fuyards. Il s’agissait souvent de passeurs occasionnels mais aussi de membres de réseaux bien organisés. Certains posent la question de savoir s’il s’agissait de résistants à part entière ou s’il faut voir ces personnes comme des sauveteurs, des humanitaires ? A moins de considérer que ces « passeurs » aient été suffisamment « idiots » pour ne pas se rendre compte des risques qu’ils prenaient, comment ne pourrait-on pas considérer qu’il s’agit véritables résistants ?
Cette histoire, à la fois politique, économique et humaine, est extrêmement riche d’enseignements pour notre vallée et nous oblige de regarder notre passé en face. D’autant qu’à coté des héros vivaient des traîtres.
Ce post est plus particulièrement consacré au franchissement de la ligne de démarcation entre La Chapelle Blanche et Vou. Un second évoquera la résistance à Sepmes et le franchissement de la ligne vers Descartes.
Outre des témoignages directs et des documents propres à nos communes de la Riolle, nous utilisons ci dessous des éléments figurants dans le compte rendu de la journée-débat tenue à Tours le 20 novembre 2011 à l’instigation du Conseil Général, sur le thème: « La Touraine divisée: La ligne de démarcation (1940-1944) Histoire et témoignages ». (Eric Alary, Sébastien Joly, et Benoît Thiault en particulier).
Bien entendu les lecteurs qui disposent d’informations complémentaires peuvent en faire part directement sur ce blog par les commentaires.
A partir de Juin 1940 des soldats de la Wehrmacht furent chargés d’exercer un contrôle sur la ligne de démarcation. Mais c’est à partir du début 1941 que des douaniers allemands, au nombre de 30 ( 27 selon certains), furent installés, au château de Grillemont. Dès ce moment, les douaniers, chargés de faire des rondes jour et nuit, accompagnés de chiens, pour intercepter les personnes voulant passer clandestinement la ligne de démarcation exercèrent un contrôle beaucoup plus sévère dans nos campagnes.
Monsieur Christian de Saint Seine, Maire de la Chapelle-Blanche, et propriétaire de Grillemont a écrit que « rares doivent être les français de la Chapelle-Blanche qui n’aient pas aidé à cette époque leurs compatriotes ou alliés à échapper à la botte nazie. C’est une des fiertés de la Chapelle-Blanche de compter parmi ses enfants l’abbé Dupont dont le rôle fut important et actif dans la résistance ». On pourrait ainsi évoquer les habitants de la ferme des Saulquins qui, de nuit, accompagnaient à pied à travers les bois et les champs les fuyards jusqu’à la limite de Vou, vers la ferme du Jardin. C’est précisément à cet endroit que la courageuse famille d’agriculteurs Maurice les réceptionnait. Jusqu’au 10 septembre 1942 où ils furent arrêtés sur dénonciation. Emile Maurice, croix de guerre, médaille militaire 14-18, fut déporté à Oranienburg où il mourut l’année suivante. Sa fille Germaine Maurice, 24 ans, fut déportée à Auchwitz où elle fut exterminée en 1943. Un monument à leur mémoire (ainsi qu’à celle de Joseph Pouponneau) est érigé à Vou sur la route de Dolus le Sec (Fig 5,6,7)
L’intervention de M. Claude Croubois lors de de la journée du 20 novembre 2011, a le mérite de rappeler les dérapages ou trahisons de certains : « La ligne de démarcation a donné lieu, c’est vrai, à beaucoup de faits de résistance, d’héroïsme, de dévouement, mais a donné lieu aussi a des faits plus sombres: les dénonciations, les passeurs ‘’marrons’’, mais aussi la collaboration ordinaire, sur laquelle on insiste peut être pas assez…les douaniers avaient des relations amicales parfois, avec certains français, en particulier en ce qui concerne le marché noir : j’ai trouvé dans les archives, des mentions concernant des gens qui amenaient des lapins, des poulets, parce que l’ordinaire des troupes allemandes était médiocre. A Abilly, une personne leur amenait des anguilles et allait à la chasse (alors que la chasse était interdite) avec le chef des douaniers, sur sa moto, avec les deux fusils. Et puis, parfois même, certains douaniers passaient en zone libre, avec certaines complicités, faisaient la ‘’ribouldingue’’ dans les cafés et là, il y avait la ‘’collaboration horizontale’’…qui a été très intense sur la ligne de démarcation. On voit beaucoup de femmes tondues ou poursuivies et qui habitent précisément sur cette ligne… »
Au château de Grillemont, c’est au total 846 personnes qui ont été amenées, de 1940 à 1943, après avoir été arrêtées au passage de la ligne de démarcation, et avant d’être transférées à la prison de la gestapo à Tours.
Un certain nombre de ces prisonniers ont écrit des messages au crayon ou les ont gravé sur les plâtres des greniers et des combles du château. Ainsi, on peut ainsi lire des messages à connotation politique: « Sales Juifs, sales Anglais sales communistes, sales francs-maçons », ou d’autres pour encourager les prisonniers à résister, ou des cris de désespoir: « Ici est un prisonnier qui vient d’Allemagne qui a fait 18 mois. Je me suis évadé le 21/01/1941 et repris ici le 22/06/1942. Une lettre de dénonciation m’a fait fuir Paris. Camarades ne soyez pas de ceux-là, pensez à nous aider les prisonniers. Ma pensée va à ma femme et mon fils. »
Ou encore: « Marcel du Nord trahi par une fermière de Chapelle Blanche le 23 octobre 1941 ». On trouve aussi plusieurs inscriptions qui attestent du passage de partisans du général de Gaulle ou plus simplement de patriotes: « V avec la Croix de Lorraine, Vive de Gaulle, Aujourd’hui 396e jour de lutte du peuple français pour sa libération » ou, « Courage on les aura ; On est mieux ici qu’en Russie. ». (Fig 8,9,10)
On pense aussi à ces deux officiers polonais qui ont réussi à s’évader en octobre 1941 après avoir lu la méthode d’évasion inscrite dans un recoin du grenier « passer par la lucarne, se laisser glisser par la gouttière face à la cour, longer le toit, tomber sur le toit du premier étage et filer pour descendre par la gouttière après prendre le coin. Un ami qui a exploré la cour en travaillant. » A la suite de quoi tous les volets ont été cloués sur les fenêtres.
Une inscription sur les murs de Grillemont signale aussi l’emprisonnement de Juifs: « 18/07/1942 Triste souvenir de six juifs et d’une septième ». Il faut dire que les passages de familles juives s’intensifient au cours de l’été 1942 (après la rafle du Vel d’hiv). Le rapport du commissaire de la police spéciale de la ligne de démarcation de Loches, daté du 16 juillet 1942 signale: « Les récentes arrestations massives opérées à Tours par les autorités allemandes ont provoqué une grande émotion dans toute la région. Les passages clandestins de juifs étrangers et de juifs français augmentent sans cesse. La population manifeste des sentiments de haine très vifs à l’égard des autorités d’occupation. Les procédés employés, tel que celui d’arrêter les mères de familles juives en les séparant définitivement de leurs enfants de 6 à 14 ans qui ont été littéralement jetés à la rue, ont donné lieu à des réactions. Il est probable que les 800 ou 1100 arrestations de Tours auront des conséquences graves »
Avant que tous les témoins de ces actes de bravoures (ou de trahison) aient disparu il nous a semblé utile de rappeler ces événements, si proches de nous d’un point de vue géographique, et dont la mémoire ne doit jamais s’effacer.
Les commentaires sur ce blog sont ouverts à toutes celles et ceux qui voudraient compléter le texte ci-dessus. Nous les en remercions par avance.
Passionnant, merci ! (il manque un « faut » dans la phrase « ..s’il FAUT les voir comme des sauveteurs, des humanitaires ? »)
Je ne savais pas, ne me rappelait plus, où passait la ligne de démarcation, c’est incroyable comme histoire et que ça se soit passé si près des lieux que l’on connait…
Merci pour l’information concernant l’erreur de français. J’ai rectifié.
Pour ce qui est de la richesse de notre région c’est extraordinaire. En Touraine, chaque petit village a énormément d’histoire à faire valoir dont malheureusement beaucoup est perdu. En tout cas nos 4 communes de la Riolle ont beaucoup de choses à apporter et il y a des gens, ici, qui ont à coeur que la mémoire soit maintenue, autant que possible. Il faut les remercier. C’est une chance que je souhaite soutenir.
Merci pour cet article très intéressant, qui nous éclaire sur des moments difficiles de notre histoire, et leur réalité concrète au niveau local.
Je suis heureux que les lecteurs trouvent des éléments concrets de la vie locale, actuelle ou du passé. Car il n’y a pas de présent sans mémoire, et, ne pas oublier est un objectif qui permet de mieux imaginer notre avenir.