A l’heure où les USA promettent d’augmenter de 200% les taxes sur les vins français, et où le bordelais organise l’arrachage de vignes, il paraît utile de revenir sur ce que fut la culture de la vigne dans la vallée de la Riolle, avant et après le phylloxéra. Car la vigne fut depuis fort longtemps une culture majeure de notre région.
En 2023, il y avait environ 9 400 hectares de vigne en Indre et Loire. Mais au XIXe siècle, en, Touraine entre 1860 et 1882 les surfaces cultivées de vigne passèrent de 26 700 hectares à 63 250 hectares ! (1).
Le XIXe siècle fut l’âge d’or de la vigne en Touraine qui comptait de nombreux vignobles renommés que la proximité de Paris avait permis de développer. En 1840, à Esvres, le comte Charles Odart (1800-1879) avait constitué une collection de près de 500 plants de vignes différentes, issues de France et des autres pays viticoles, dont 300 étaient disponibles dans sa pépinière.
La cadastre Napoléon, établi en 1832, signale bien des zones de vignes dans les quatre communes de la Riolle. (Fig 1 à 7)
Pour bien observer les images, cliquer dessus pour les agrandir. Les refermer en cliquant sur la croix en haut à droite de l’image.
Outre l’importance des surfaces acquises à la culture viticole, la qualité du travail des viticulteurs tourangeaux était tout aussi remarquable. « Le pape » de la spécialité, le Dr. Jules Guyot (1807-1872), visita en 1864-1865, à la demande du ministre de l’agriculture, les différentes régions viticoles françaises. A l’issue de la semaine passée en Touraine à faire l’inventaire des pratiques viticoles, Jules Guyot produisit un rapport resté célèbre:
« Quant au mode de culture que j’ai conseillé pour les fins cépages, je le trouve installé un peu partout avec un succès complet. Mais c’est dans l’Indre-et-Loire, qu’à ma grande surprise, je l’ai trouvé appliqué chez les plus grands propriétaires et les viticulteurs les plus habiles avec une perfection et un succès, qu’excepté trois viticulteurs en France, je n’avais rencontré nulle part… J’ai rencontré des vignes types, mais moins parfaites, dans tous les départements de mes tournées de 1864 et dans tous ceux que j’ai visités en 1865… D’ailleurs nous avons bien d’autres prodiges viticoles. J’ai été mis en présence d’une culture inventée et pratiquée depuis 20 ans par les paysans vignerons de Chissay près de Montrichard ; ils appellent cela cultiver la vigne en chaintres, mot que je traduis par chaînes-traînantes… Jamais je n’ai rien vu de plus merveilleux dans sa simplicité sauvage. Figurez-vous chaque cep formé de 3 ou 4 bras, longs de 4 à 6 mètres, traînant à terre, et chaque bras portant 2 à 4 branches à fruit de 1,50 mètres à 2 mètres et jusqu’à 3 mètres de long chacune ! Ces branches à fruit sont laissées de toute leur longueur, sans taille, la gelée seule se chargeant de faire tomber l’extrémité qui n’est pas aoûtée. Imaginez chacune de ces interminables branches à fruit garnies de magnifiques grappes d’un bout à l’autre, sans interruption et sans nuances dans la perfection de la maturité, soulevée au-dessus de terre par de petites fourches de 25 centimètres, pour que le raisin ne pourrisse pas… » (2) (Fig 8)
En plus de la richesse obtenue par la culture proprement dite de la vigne, l’activité viticole avait un impact économique sur la production des matériels de culture et l’activité des charrons qui étaient présents dans toutes les communes. « A Sainte-Maure, Louis Renault, né en 1828, après des études primaires, avait commencé à travailler avec son père, maréchal-ferrant, au 38 grande rue à Sainte Maure ». (3) En 1853, ayant repris l’activité familiale, il observe les mutations culturales de la vigne qui commencent à planter les ceps en ligne, palissés sur des fils et permettant la traction animale entre des rangs. Auparavant, on pratiquait le plus souvent une conduite de la vigne sur échalas, c’est-à dire en ceps individuels tuteurés, implantés en foule ou parfois en ligne à 1 mètre les uns des autres… Les plantations furent plus vigoureuses et les pratiques plus rigoureuses. Louis Renault comprend l’intérêt de construire des instruments de labour dédiés à la culture de la vigne. Il est le créateur de charrues vigneronnes particulièrement ingénieuses dont la renommée dépasse le territoire national. Il est récompensé de plus de 200 médailles d’or dans les expositions y compris au concours général de Paris en 1860. En 1872 Louis Renault emploie cinq ouvriers spécialisés à Sainte-Maure. (Fig 9 à 12)
A coté de cette réussite agricole et commerciale remarquable, la vigne était présente, au moins sous forme de quelques rangs, dans pratiquement toutes les exploitations et bien des fermes possédaient un pressoir. Et parfois des équipements bien plus importants. A la Grenière, à Bournan, un petit bâtiment comporte encore un foudre d’une ou deux tonnes. Les pentes de la Riolle étaient donc sans doute bien pourvues en vignes. (Fig12)
La commune de Sepmes, au XIXe siècle, fit l’objet d’un développement considérable de la viticulture, qui permit à Alfred Rabault (1843-1909 ) de disposer de plus de 100 hectares en production. La fortune de sa famille lui avait permis d’acquérir les fermes de Picardie, de Beauregard, des Maisons-rouges ainsi que le Grand et Petit Relais en plus de la ferme du château. C’est lui qui « avança » à la commune la somme une partie de l’argent qu’elle eût à payer aux Prussiens lors de la guerre de 1870. Au temps faste de la culture de vigne il put se faire construire (1885) un grand chais autour d’un « château » conçu par lui et qu’il installa face à l’église du bourg. Cette grande bâtisse carrée, décorée de sculptures de Bacchus et comportant des caves de stockage en sous sol, est depuis 1954 la mairie de Sepmes. Du chais, qui disposait de 5 pressoirs, une canalisation souterraine menait, parait-il, le jus de raisin directement dans les caves du « château ». La famille Rabault quitta Sepmes en 1900 à la suite de la crise du Phylloxéra. (Fig13)
Car, oui, le phylloxéra va précipiter ce monde agricole au zénith dans une crise viticole dont la Touraine ne se remettra jamais.
A moins que l’esprit d’excellence et la créativité qui avaient fait la notoriété de notre beau pays, restent toujours vivaces et soutenus ?
Bibliographie
- Nadine Dumazet (Terre de Touraine) d’après une conférence de Pierre Desbons, ingénieur agricole et membre de l’Académie des sciences, arts et belles lettres de Touraine.
- Rapport de Jules Guyot. Journal d’Agriculture pratique, du 20 novembre 1865.
- Desbons P. Louis Renault Gouin fabricant de machines agricoles à Sainte-Maure de Touraine. Société archéologique de Touraine, Nov 1921
Merci de cet article qui nous permettra de nous souvenir du travail ingénieux des viticulteurs lors de la dégustation d’un verre du vin fameux de la Touraine. Quelle précision dans le texte et dans les illustrations! L’image du pied de vigne en chaintre est superbe.
Encore un article fort intéressant et très bien illustré ! MERCI !
Et reste t’il encore beaucoup de loges de vigne dans cette région ? Si oui, il y aurait encore des richesses à nous faire découvrir !
Passionnant ! 👍👍👍
Bravo
Merci beaucoup de nous partager toute cette richesse d’informations