Léon Julienne, personnalité de la Riolle (2)

Depuis la fin des années 1850 Léon Julienne parcourait l’ouest et le centre de la France pour le compte de son employeur la société Grignon établie à Nantes. On ne disposait pas de photographie de Léon Julienne jusqu’à ce qu’une chapelloise n’en retrouve une superbe, prise par un des premiers photographes professionnels, travaillant à Nantes, Angers et Tours. (Fig1)

La soeur de Léon, Julie (1839-1914), avait épousé Laurent Blateau, né en 1835. Il mourut jeune, en 1870. A partir de son veuvage Julie vécut avec son frère à la Chapelle-Blanche Saint-Martin. La guerre de 1870, et /ou la disparition de son beau-frère ont elles joué un rôle dans l’évolution professionnelle de Léon Julienne et son installation à la Chapelle-Blanche ? On peut le penser. Mme Janvier a écrit : « Pendant son séjour à la Chapelle-Blanche il commença ses expériences de culture avec des engrais : une médaille d’or au concours agricole de Tours et sa médaille Chevalier du Mérite Agricole en 1903 récompenseront ses succès ». La relation avec l’entreprise nantaise ne fut pas rompue pour autant puisqu’au contraire Léon Julienne semble avoir importé ses produits par son intermédiaire. C’est sa soeur Julie qui s’occupera sur place, en son absence, de la réception et de la vente des engrais. On dispose encore de documents relatifs à ce commerce ouvert à La Chapelle-Blanche : des étiquettes de produits, des courriers de Julie qui fait un compte rendu des activités à son frère, et des bordereaux de transport des produits avec la compagnie de chemin de fer. (Fig 2 à 5)

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Léon Julienne était notoirement athée, et par ailleurs, franc-maçon ; qualité qui semblait peu connue de ses concitoyens quand bien même ils avaient pu observer son tempérament original. On dit que Léon Julienne était bon et généreux, prêtant souvent de l’argent à fonds perdus. Il semblait disposer de qualités d’entregent remarquables, aidant ses proches et partenaires de judicieux conseils.

Léon Julienne fut franc-maçon dès les années 1860, à la grande époque de la franc-maçonnerie française. C’est à ce moment qu’elle rompit avec la maçonnerie anglaise qui demandait « la croyance en un Dieu », et qu’elle imposa en France « la liberté absolue de conscience ». C’est aussi l’époque ou la franc-maçonnerie constitua le terreau de la IIIe République dont les lois scolaires, ou sur la liberté de la presse ou la séparation des Eglises et de l’Etat sont encore des marqueurs de notre pays. Léon Julienne était membre de la loge « Mars et les arts » à l’Orient de Nantes. Cette loge fondée en 1800 a compté parmi ses membres de nombreuses personnalités de la vie politique nantaise tels qu’Emile Mellinet, ou Ange Guépin. On a conservé deux reçus qui officialisent sa cotisation pour les années 1866 et 1867. (Fig 6 et 7)

Nous ne savons pas si Léon Julienne avait été initié à Nantes mais bien des éléments le laissent penser.  A commencer par le fait qu’il devait être assez souvent présent dans cette ville (lui permettant ainsi de participer aux tenues de sa loge), mais aussi parce que son employeur nantais, Mr Grignon, y était lui même franc-maçon. On dispose ainsi de quelques courriers à Léon Julienne où la signature de Mr Grignon porte les trois points caractéristiques. A remarquer cependant, le vouvoiement de la formule de politesse alors que les « frères » ont l’habitude de se tutoyer. On peut penser que les courriers commerciaux entre le patron et le « voyageur » restaient d’abord des outils de travail et que la proximité maçonnique, matérialisée par les trois points dissimulés dans la signature, n’apparaissait qu’aux initiés. (Fig 8)

Mais nous avons aussi un courrier commercial plus surprenant, de 1978, d’un client Niortais qui s’adresse directement à Léon Julienne par une formule maçonnique. (Fig 9)

Ces divers éléments laissent à penser que, par son expérience personnelle, par ses voyages incessants, ses rencontres multiples, Léon Julienne avait constitué un réseau plus ou moins lié à la franc-maçonnerie et que ces relations avaient en retour forgé sa forte personnalité. Raymonde Janvier écrit: « Il savait se faire des amis et bien souvent servait d’intermédiaire parmi les commerçants qu’il côtoyait ».

Mais l’appartenance maçonnique de Léon Julienne n’était pas réservée au commerce. Ainsi, dans une lettre à son ami Aristide (sans doute franc-maçon), le chapellois exprime son opposition à Napoléon III. Cette lettre date du 17 février 1871, jour où l’Assemblée nationale nouvellement élue et réunie à Bordeaux, choisit Adolphe Thiers comme chef de l’État et du gouvernement. Julienne y évoque la guerre perdue : « Nous espérons que la paix sera signée le 19 et qu’on procède de suite à l’échange de prisonniers ». Il considère que l’armistice du 28 janvier 1871 est « la capitulation de Paris » et rappelle à son ami que Tours était occupée par l’armée prussienne. Mais il ne dit rien de la présence de ces militaires à la Chapelle-Blanche Saint-Martin. Sa lettre se conclut en écrivant : « Je t’envoie 2 francs mais je les crois roustés par la faute de ce ferrailleur de Napoléon III. La Prusse nous a joliment bien fricassé. C’est quelque chose d’esbroufant ». La signature de Julienne porte les trois points caractéristiques (Fig 10)

Pour ce qui est de l’activité communale, la mémoire locale en a retenu trois facettes particulières. D’une part l’élection de Léon Julienne au conseil municipal de 1892. Jean Baptiste Roy était le maire. Julienne fut conseiller et membre du bureau de bienfaisance. Joseph Perret fut le maire suivant et Léon Julienne fit partie de ce conseil jusqu’en 1904. Dans le cahier des délibérations municipales Léon Julienne apparait tantôt avec le prénom de Joseph, tantôt avec celui de Léon.

A cette époque marquée par la construction des écoles publiques dans tous les villages de France, Léon Julienne s’investit particulièrement en faveur de la construction de l’école de filles de la commune. Il figure comme premier conseiller municipal pour assister à l’adjudication de l’école de filles. Il s’est aussi signalé pour appuyer l’attribution d’un crédit pour chauffer l’école de filles en novembre et décembre 1902. A cette occasion, il alla même jusqu’à signer avec les trois points du maçon dans la marge du registre de délibérations municipales. Qu’en ont pensé les autres élus ? Il faut se souvenir de la tension qui existait en ces années du début du XXe siècle, avec le développement de l’enseignement public et la loi sur la laïcité. Les textes municipaux montrent aussi que Julienne était capable d’avancer de l’argent au profit d’actions communales. (Fig 11 à 13)

L’attitude de Léon Julienne dans la commune fut aussi remarquable vis à vis de l’abbé Marcault dont la conduite fut particulièrement provocante vis à vis des élus. Mme Janvier raconte : « Un jour qu’il venait lui présenter ses respects peu de temps après sa nomination et avait posé sa barrette (chapeau) sur la table, sans un mot, Léon julienne attrapa celle-ci et la jeta par la fenêtre. Le message fut compris et le prêtre ne revint jamais ».

Rien d’étonnant donc à ce que les funérailles, de Léon Julienne, en 1918 à la Chapelle Blanche, aient donné lieu à une cérémonie maçonnique regroupant un grand nombre de « frères ». La population fut parait-il très curieuse de cette sépulture.

Remerciements à la famille Ansault pour la mise à disposition de documents concernant Léon Julienne.

Bibliographie

Janvier R. Documents historiques du site de la commune de la Chapelle Blanche St Martin. https://www.la-chapelleblanche-saintmartin.fr/

1 réflexion sur “Léon Julienne, personnalité de la Riolle (2)”

  1. Merci de la présentation intéressante de l’autre facette de Léon Julienne, ce Chapellois si original. Encore une preuve de la richesse universelle qui se retrouve dans la petite Vallée de la Riolle.

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