La vallée de la Riolle concerne 4 communes:
- La Chapelle Blanche Saint Martin, où la Riolle prend sa source,
- Bournan traversée d’est en ouest par le cours d’eau, qui en limite la partie sud ouest
- Sepmes dont la limite communale est fixée au sud-est par la Riolle juste avant son confluent avec la Ligoire
- et Civray sur Esves qui accueille le confluent de la Riolle et de la Ligoire.
Ces quatre communes comme toutes les communes de France ont payé un lourd tribut au bain de sang de la guerre de 1914-1918. Elles ont conservé les noms de leurs enfants morts dans cette terrible épreuve en les gravant sur des monuments dits « aux morts ». Le présent texte vise à présenter les noms de tous ceux qui ont disparu. Nous replacerons le nombre de morts en fonction de la population de chaque village à l’époque de la guerre. Nous nous attarderons sur les noms des familles touchées et sur les prénoms de tous ces enfants tombés ou disparus. Nous analyserons la forme architecturale des 4 monuments, les lieux choisis pour les ériger et les mots qui y sont inscrits. Pour ne jamais oublier l’évènement qui a sonné le glas de la civilisation européenne.
Bournan
Le recensement de 1911 indique 488 habitants à Bournan. Dix ans plus tard, celui de 1921 donne 456 habitants; soit une perte d’environ 7% de la population.
Le monument aux morts (Fig 1), d’environ 3 mètres de haut, se présente comme une colonne de pierre calcaire à quatre cotés, de forme pyramidale, placée auprès de l’église du village dédiée à Saint Martin, sur sa façade nord, le long de la route départementale 59. Cette colonne posée sur un socle parallélépipèdique, est placée sur une dalle entourée de chaînes, matérialisant une sorte de sépulture. Un second enclos plus effectif est réalisé par des grilles de fer forgé, environ un mètre au delà de la dalle portant les chaînes. La colonne pyramidale est surmontée d’une sorte de couronne de tuffeau coiffant sur chaque face une belle médaille militaire sculptée. Sur la face nord de la colonne une grande palme en bronze est affichée comme un hommage; elle porte les supports destinés aux drapeaux tricolores qui sont apposés au monument lors de chaque célébration. Le socle cubique de la colonne porte des inscriptions sur chacune de ses faces.
La face nord (Fig 2) porte l’inscription générique « A la mémoire de enfants de Bournan morts pour la patrie », gravée dans le calcaire.
La face ouest (Fig 3) est dédiée à la mémoire des enfants de Bournan disparus durant la seconde guerre mondiale: l’un des suites de captivité en 1941 (Armand Boireau), le deuxième en captivité à Vielbaum en 1944 (Ygnace Perka), et le troisième à Buchenwald en 1945 (André Gavard). Il est sans doute encore des habitants de la commune qui pourraient apporter des informations plus précises sur ces personnes mortes pour la France.
La face est du socle (Fig 4) porte une plaque de marbre noir gravé de lettres dorées portant les noms de 17 enfants de la commune disparus pendant la première guerre mondiale, sans précision de dates de décès ni d’âge des héros. L’ensemble des noms sont de consonance française et certains sont encore présents dans la commune. L’étude des prénoms est plus instructive: sur 17 prénoms on note 5 « Désiré » et 2 « Honoré ». Les autres prénoms sont traditionnels et souvent encore utilisés, à l’exception d’un « Philadelph » dont le sens « amitié fraternelle » est à lui seul une provocation contre la « boucherie fraternelle ». Il faut aussi s’attarder sur ces 5 enfants « désirés » et ces 2 autres « honorés ». Ne nous disent-ils pas à quel point ce Bournan qui les a vu naître aux environ de la dernière décennie du XIX siècle était en attente d’enfants, et de la soif de les honorer? Ils représentent plus du tiers des enfants du village donnés à la guerre. Après un tel drame, comment imaginer que notre pays puisse encore « désirer » et « honorer » des enfants? Le monument aux morts de Bournan ne matérialise-t-il pas à lui seul le deuil démographique de l’Europe à venir?
La Chapelle Blanche Saint Martin
Le recensement de 1911 indique 909 habitants à La Chapelle Blanche. Dix ans plus tard, celui de 1921 donne 836 habitants; soit une perte d’environ 8% de la population.
Le monument aux morts (Fig 5) érigé en 1920 dans le cimetière communal, sur le même modèle que celui de Bournan, mais un peu plus grand, présente donc encore une colonne de pierre calcaire de section légèrement pyramidale, placée sur un socle au sommet de 3 degrés entourés de rambardes métalliques ouvertes sur la face est. La colonne est coiffée d’un casque de poilu. Sur ce monument aux morts de la Chapelle Blanche Saint Martin, la palme figurant sur la face sud n’est pas en bronze mais seulement gravée dans le calcaire de la colonne. Il est a noter que les dates figurant sur le monument sont 1914-1919, indiquant ainsi que la commune avait pris en compte les décès constatés au delà de la date de l’armistice. L’inscription générique qui figure sur le socle de face sud est la suivante: « A la mémoire glorieuse des enfants de la Chapelle Blanche morts pour la France ». Comment deux communes limitrophes peuvent elles commander des inscriptions génériques différentes? La mémoire des enfants est « glorieuse » à la Chapelle Blanche, mais non à Bournan; et les enfants de La Chapelle Blanche sont morts pour « la France » alors que ceux de Bournan sont morts pour la »patrie ». Faut-il voir dans ces différences la marque de sensibilités communales différentes, ou d’orientations politiques non superposables malgré le sacrifice commun, et malgré l’union sacrée? Faut-il y voir plutôt l’individualisme bien marqué des communes à une époque où la marche à pied était le véritable étalon des distances ? Au bas du monument, on relève la présence d’une plaque de marbre à la mémoire de François PIARD mort en 1918, sans qu’aucun signe particulier n’indique pourquoi ce seul poilu est ici honoré.
Sur la face nord du monument (Fig 6) figurent la liste des disparus de la guerre de 1914-18 (au nombre de 45), ainsi que ceux de la seconde guerre mondiale (au nombre de 6). L’étude des décès pour la première guerre montre qu’en 1914 onze jeunes chapellois ont été tués, soit pratiquement un par semaine! Six autres ont disparu en 1915. Puis neuf autres en 1916 (dont vraisemblablement six à Verdun), et encore cinq en 1917, et neuf en 1918 dont quatre après l’armistice des suites de leurs blessures. Il faudra encore compter deux décès dans les années 19 et 20, et ne pas oublier les trois jeunes disparus sans laisser de trace, ni de leur lieu ni de leur date de décès. Le détail des dates et lieux de décès a été colligé par Raymonde Janvier, employée de la commune, et publié en 1991 dans le bulletin communal N° 14.
L’examen des noms et prénoms, comme à Bournan, montre une quasi totalité de noms à consonance française traditionnelle. certaines familles ont été particulièrement éprouvées: les Gentilhomme ont perdu 2 enfants, comme les Vuillaumé; tandis que que les Dalloneau ont perdu 3 fils et que le nom de la famille Naulet figure 4 fois sur le monument (il semble pourtant que deux cousins aient porté le même prénom de Jules). Les prénoms sont plus divers que sur le monument de Bournan, même si Jules (7 fois) et Louis (6 fois) apparaissent pour un tiers des jeunes disparus.
Parmi les 6 décès de la seconde guerre mondiale on note 3 morts au champ d’honneur, deux autres désignés comme victimes civiles (ce qui pourrait laisser penser à une mort en déportation?), et un nom sans précision particulière. Le malheur veut que ce nom soit encore Naulet, figurant 4 fois sur la liste de 14-18. Le nom de Lucien Lanjou présent sur cette liste figure sur un autre monument du souvenir à « La Chaise » et nous en ferons état dans un autre post.
La face est du monument (Fig 7) porte une vitrine protégeant un panneau émaillé de 17 portraits de poilus chapellois. Sur quelles bases ont été choisis ces portraits? Ceux qui disposaient de photos de leurs enfants? Ceux qui avaient particulièrement mérité de la commune? Quoi qu’il en soit, ces visages d’hommes graves, qui étaient l’expression de la France dans ce qu’elle avait de plus porteur d’espoir, nous rappellent que leur sacrifice n’a pas pu être vain.
Civray sur Esves
Le recensement de 1911 indique 406 habitants à Civray sur Esves. Dix ans plus tard, celui de 1921 donne 371 habitants; soit une perte d’environ 8% de la population.
Le monument aux morts de Civray sur Esves est placé sur la place de l’église Saint Rémi, sur sa façade sud, qui comporte l’entrée dans l’église. Ce monument aux morts est de la même facture et de la même inspiration que ceux de Bournan et de La Chapelle Blanche Saint Martin: une colonne pyramidale à quatre faces, posée sur un socle plus ou moins cubique. Le tout est réalisé en calcaire dur et posé sur une dalle à trois degrés entourée d’un petit enclos de fer forgé. (Fig 8). Sur la face est de la colonne est fixée une palme en bronze doré, ainsi qu’une croix de guerre du même métal. Trois faces du socle sont recouvertes de plaques de granit portant des inscriptions caractéristiques du monument. Sur la face est figure l’inscription générique » A la mémoire des enfants de Civray sur Esves morts pour la patrie », absolument identique à celle inscrite sur le monument de Bournan. Sur la face nord du socle la plaque de marbre gravé en lettres dorées (Fig 9) précise les noms des 11 enfants de la commune disparus dans la première guerre mondiale. A Civray sur Esves comme dans les autres communes de la vallée, l’ensemble des noms sont ceux de familles du cru, de consonance tourangelle et représentatives des générations habitant cette région depuis des siècles. La famille Suard est la seule qui a perdu deux fils. Les prénoms sont eux aussi très représentatifs de la région et de l’époque, sans fantaisie ni redondance particulières: il n’y a qu’Arsène qui est redoublé parmi les victimes du massacre de cette guerre.
Sur la face ouest du socle la plaque de marbre n’indique qu’un seul nom; vraisemblablement celui d’un habitant de Civray mort pour la France dans une autre guerre que celle de 14-18. (Fig 10) Mais rien n’indique s’il s’agit de la seconde guerre mondiale ou d’une guerre coloniale.
Sepmes
Le recensement de 1911 indique 874 habitants à Sepmes. Dix ans plus tard, celui de 1921 donne 760 habitants; soit une perte d’environ 13% de la population.
Le monument aux morts de Sepmes, installé au centre du cimetière communal, présente, en un peu plus petit, la même architecture générale que ceux de Bournan de Civray sur Esves et de la Chapelle Blanche : une colonne pyramidale posée sur un socle cubique portant sur une face une palme et sur une autre la liste des morts dont on veut conserver la mémoire. Pourtant on note quelques différences mineures (Fig 11): pas d’enclos autour du monument, et il est en granit, matériau ne provenant pas de la région. Pour le reste les grands standards sont là: la palme (ici en bronze), est surmontée d’une croix de guerre également en bronze, et la colonne est rehaussée d’un mât portant un écusson tricolore.
La formule générique honorant les morts auxquels est dédié le monument est encore différente: » Aux Soldats de Sepmes morts pour la France ». Si c’est bien au nom de la France qu’on est mort à Sepmes, ce sont les « soldats » et non « les enfants » qui sont désignés. Moins de sentiment ici qu’ailleurs dans la vallée? Plus fiers et belliqueux? Les soldats certes ne sont pas des enfants; pas plus que les enfants ne doivent être des soldats. Le malheur et la jeunesse à masquer au profit du courage et de l’abnégation?
La face nord du monument porte aussi les noms des morts qui sont honorés à Sepmes (Fig 12): 34 matérialisent l’anéantissement de 14-18, cinq figurent pour la seconde guerre mondiale tandis qu’un autre, dont le décès est daté de 1957, rappelle la guerre d’Algérie.
A Sepmes comme dans toute la vallée, l’ensemble des noms est de consonance française traditionnelle, mettant en évidence des patronymes locaux et régionaux bien connus et qu’on retrouve simultanément dans plusieurs communes. Les prénoms des soldats figurant sur le, monument sont variés mais très classiques pour l’époque. Sur les 34 jeunes tués lors de la première guerre mondiale, 12 venaient de 6 familles qui semblent avoir perdu chacune deux de leurs fils: Blanchard, Cathelin, Delorme, Dugué, Menoux et Roy. Pour la seconde guerre mondiale on retrouve encore le nom de Cathelin; mais aussi un homonyme de Marcel Proust. Ces patronymes sont bien connus dans la vallée.
Comme à La Chapelle Blanche, un cadre sur la face ouest du monument (Fig 13) présente les photos de certains des poilus disparus: 12 au total. Mais, faute d’être protégé ce cadre, qui a souffert de l’usure du temps, ne permet pratiquement plus d’identifier les hommes disparus. Le temps ne doit pas faire son oeuvre et il ne faut rien oublier.
Conclusion
Le nombre total des « enfants » de la vallée de la Riolle massacrés entre 1914-1918 au motif du conflit européen est donc de 107.
Si l’on considère que la proportion d’hommes jeunes mobilisables dans les quatre communes de la vallée de la Riolle était comparable, sinon identique, il faut observer que le nombre de leurs décès imputables à la première guerre mondiale est relativement disparate dans chacune des communes : de l’ordre de 3,48% à Bournan, 3,89% à Sepmes, 2,70% à Civray sur Esves et 4,95% à la Chapelle Blanche Saint Martin (pourcentages par rapport à la population totale et non par rapport aux à la tranche d’âge des mobilisés, qui seraient beaucoup plus élevés). Des statistiques sont disponibles globalement pour la région centre. Elles indiquent que 7,33% des hommes étaient morts à la suite de cette guerre et qu’on compta environ 50% de morts par mobilisables dans la région centre!
Combien restait-il de jeunes hommes de 20 à 30 ans dans la vallée de la Riolle en 1919? Comment imaginer qu’un territoire agricole en 1919, qui demande des bras jeunes, puisse renaître d’une telle hécatombe? Comment imaginer qu’une population puisse se maintenir si on en soustrait une grande part des géniteurs?
La liste des morts de 14-18 ne dit elle pas la fin de la France autant que sa gloire?