En observant les cartes postales des 4 villages de la vallée de la Riolle j’ai observé que pour Bournan et La Chapelle Blanche Saint Martin, au moins, les pompes à essence, dans les années 30, 40 ou même 50, du siècle précédent, étaient installées au centre de la commune, quasiment sur la place principale, en terrasse de café. Peut être en était-il de même à Civray et Sepmes, mais je ne dispose pas de cartes postales qui le montreraient. (Fig 1 et 2)
Aujourd’hui, la situation est tout simplement inimaginable. Pour de multiples raisons que je voudrais explorer car elles montrent à quel point notre monde est différent de celui qui est illustré sur les photos ci dessus. Antagoniste même.
1- Pour qu’une pompe à essence donne satisfaction en étant installée au centre du village, sur la route principale, c’est parce qu’elle était peu utilisée. Sinon il y aurait eu des queues de véhicules en train d’attendre d’être servis; d’autant que ces pompes étaient manuelles. Les véhicules étaient donc rares, alors que de nos jours chaque famille en utilise un ou deux quotidiennement. On en déduit donc que la rareté des véhicules était liée au fait que la population, dans sa plus grande part, travaillait et vivait à proximité immédiate du village.
2- Pour qu’une pompe à essence soit installée au ras de la vitrine d’un hôtel restaurant ou d’un café, c’est que l’utilisation des véhicules est liée aux notions de loisir, convivialité et de temps libre. Impensable aujourd’hui: la voiture est un outil de travail pour l’utilisation duquel la consommation d’alcool est interdite. Aux quelques véhicules servis autrefois, et dont on imagine bien le conducteur boire un canon au café avec ses copains après avoir fait le plein, ont succédé les centaines de véhicules pressés, dont aucun ne s’arrête. Ces pompes du centre ville disent aussi que notre notion du temps a changé.
3- La proximité du bar et de la pompe à essence nous dit aussi des choses sur les changements intervenus en terme de santé et de responsabilité; combien d’accidents graves consécutifs à ces « petits coups » sur le coin du bar? D’autant que les véhicules n’étaient pas conçus en fonction de normes de sécurité. Aujourd’hui, les pompes à essence ont généré sur les autoroutes des stations service qui sont de véritables supérettes, où l’on trouve tout ce qu’il faut pour se restaurer, de détendre, et parfois dormir. Mais pas d’alcool.
4- On voit bien sur ces cartes postales que les véhicules à essence, même s’ils sont accueillis en centre des villages, ne sont que des objets « extérieurs », sympathiques mais incongrus: le village reste d’abord à ses habitants qui s’affichent sur la photo. Le village c’est eux. Aucune trace de passage piéton…Aujourd’hui des passages piétons, des plots, des faux tricolores ou des rehaussements de chaussée, tentent désespérément de réserver quelques moments pour le passage des habitants ou des derniers usagers du village. La voiture est reine. Les villages ont été modifiés pour que les véhicules puissent les emprunter, en y perdant le moins de temps possible, sans y laisser d’argent ou presque: l’essence, le p’tit noir, la nuitée et autres services…tout ça c’est perdu. Les véhicules sont les nouveaux « habitants » des villages de la Riolle. Les citoyens, eux, on ne les voit plus.
5- Les véhicules ont pris le dessus, mais les carburants ont été mis en périphérie des villes à Loches, Sainte-Maure, Descartes, Ligueil…comme la plupart des commerces. La pompe à essence a non seulement quitté le coeur des villages, mais elle est devenue le centre d’espaces distants et privés, alors qu’elles avaient été installées au centre des espaces publics locaux. Le triomphe de l’individualisme s’observe là aussi.
Il ne s’agit pas pour moi de tomber dans la trop simple formule du « c’était mieux avant » qui serait un affront à toutes les peines et difficultés qu’ont vécues les générations qui nous ont précédé.
Mais quand même, ne peut-on pas espérer que nos villages soient un peu soustraits au trafic automobile, et permettent à la plus grande part de ses habitants de travailler sur place, et de s’y côtoyer pour retrouver la notion du temps et de la collectivité à échelle humaine?
La mutation qu’on nous prédit pour 2035 avec la suppression des moteurs utilisant les carburants fossiles, favorisera-telle une amélioration de la vie de nos villages ou aggravera-telle les ruptures signalées?