En Indre-et-Loire, 28 « pierres d’attente » ou « tables des morts » ont été recensées (1). Il s’agit de grandes tables de pierre, monoblocs, posées sur deux piliers courts ou parfois sur deux blocs de pierres. Leurs dimensions habituelles sont de l’ordre de 2 mètres sur 70 à 80 centimètres de large.
Ces « pierres d’attente » sont à proximité immédiate des églises et leur rôle supposé était de recevoir les cadavres ou les cercueils avant qu’ils n’entrent dans le bâtiment religieux pour la cérémonie funéraire. (2) On dit que les cortèges funéraires venant des hameaux éloignés du bourg étaient des tâches épuisantes et que des repos devaient être organisés en cours de chemin (en général aux pieds des crucifix des carrefours), puis en arrivant à l’église, près d’une de ses portes.
« Ce temps d’arrêt s’inscrit dans le rituel des funérailles. C’est en effet le moment où la dépouille du pécheur va quitter l’espace public pour entrer solennellement dans le lieu-saint. Le cercueil attend sur la pierre bien nommée que le curé prononce les paroles sacramentelles et bénisse le cercueil. (3)
Les textes religieux le précisent: « Les curés iront toujours processionnellement faire la levée des corps, même des petits enfans, et les conduiront à l’église paroissiale ; les corps néanmoins de ceux qui seront décédés dans les hameaux fort éloignés, surtout lorsque les temps seront mauvais, pourront être apportés ou voiturés à l’entrée des villes, bourgs ou villages, et le curé les ira recevoir et lever à l’endroit où ils auront été déposés pour les conduire ensuite à l’église». (4)
C’est Marcel Baudouin qui en 1915 prit conscience de l’importance de ces pierres et des menaces qui pesaient sur elles avec l’effacement des rites religieux des campagnes. (5)
Sur les dernières 28 « pierres d’attente » encore existantes en Indre et Loire, 2 se trouvent dans des communes de la Riolle: Bournan et La Chapelle Blanche St Martin. Celle de Bournan, datée du XII siècle, classée en 1948, présente une tranche ornée d’une bande de chevrons. Celle de La Chapelle Blanche, qui semble avoir toujours été là, date vraisemblablement de la même époque.
Ajoutons que Bossée, commune voisine de la Riolle dispose aussi d’une telle pierre; ainsi que Draché, Maillé et Abilly dans les environs proches…Faut-il imaginer que la multiplicité locale de telles pierres, matérialise la persistance particulière des rituels funéraires dans notre vallée? Ou observer que notre région fournit de belles pierres propices à ce types de mobilier comme pour les Dolmens et Menhirs?
Bibliographie
- 1- Chimier J.P. Livet J. Pichon I. Godignon D. Bartholome S. Defaix J. Les pierres d’attente des morts en région Centre-Val de Loire 2021
- (2) Hubert-Pellier M. En Touraine, les pierres nous racontent. Chauvigny patrimoine édit. 2022
- (3) Gélis J. Immel J.M. De la maison mortuaire au cimetière : « cercueil du pauvre », « pierre d’attente » et « porte des morts » Bulletin de la Société Historique de l’Essonne. 2020
- (4) Rituel du diocèse d’Amiens, 1784, p. 252.
- (5) Baudouin M. Les pierres d’attente en France et en particulier les pierres des morts de l’île d’Yeu (Vendée) », Bulletin et Mémoires de la Société d’Anthropologie de Paris, 1915.
Merci pour cette information qui nous ramène à nos racines chrétiennes et nous fait apprécier la richesse patrimoniale de notre beau Sud Touraine.
Celle de La Chapelle-Blanche a été brisée en deux par un camion il y a quelques (une dizaine ?) d’années. Elle a été bien restaurée, car la « couture » ne se voyait pas du tout (je ne sais ce qu’il en est aujourd’hui). Avec Guy du Chazaud, alors conservateur départemental des antiquités et objets d’art, nous nous étions demandé s’il ne s’agissait pas d’une table d’autel médiéval remployé… Celle de Bournan est de facture beaucoup plus soignée, tant dans sa forme générale que par sa ligne de chevrons sculptés. Elle est classée au titre des monuments historiques depuis 1948.
Celle de Bossée est plus problématique : elle est assez informe, et on a du mal à comprendre comment on pouvait s’en servir…
Ces tables des morts ne sont pas toujours très visibles. En tout cas elles interrogent et comme vous le dites celle de Bournan est d’un intérêt particulier. Merci de ce que vous apportez pour la connaissance de la table de la Chapelle Blanche St Martin.
Merci pour cet article, je ne connaissais pas l’existence de ces tables!