Marcel Petit, de Civray sur Esves

Marcel Petit est un enfant de Civray sur Esves, même s’il n’y vécut que ses premières années de jeunesse. Sa personnalité et sa vie furent si remarquables qu’il est aujourd’hui partout reconnu et admiré. Mais c’est bien un natif de la Riolle que nous allons célébrer ici.

Marcel, Arsène, Petit est né le 19 mai 1888 à Civray-sur-Esves et mort le 25 février 1986 à Juan-les-Pins. Il est le fils de Pierre Petit (1861-1925) et de Mélanie Desbrousses (1864-1930), originaires du Limousin et protestants très pratiquants. Le père ayant été nommé instituteur à Civray sur Esves, la famille est venue s’y installer. Marcel avait avait une sœur aînée et un frère cadet. De petite taille, il était par contre doué d’une vitalité et d’une personnalité qui marquèrent ses contemporains.

Il a été scolarisé au Lycée Descartes de Tours, comme interne boursier. En 1906, il obtient le baccalauréat en mathématiques, puis, l’année suivante, il est reçu 4e au concours d’admission des Écoles nationales vétérinaires. A l’École nationale vétérinaire d’Alfort il est major de sa promotion et sort diplômé et lauréat en 1911. Lors de la crue de la Seine de 1910, il a été décoré du mérite agricole pour avoir participé aux opérations de sauvetage en barque. Dès 1913, Marcel Petit est chef de travaux stagiaire d’anatomie à Alfort

Mobilisé du 2 août 1914 au 30 septembre 1919, (comme vétérinaire),  il participe aux combats de la Marne en 1914, puis des Monts de Champagne en 1917. En juin 1918, jusqu’à sa démobilisation en septembre 1919 il est affecté à l’armée d’Orient. Il fut atteint de typhoïde et de paludisme. De retour de la guerre il décide de renoncer à la pratique religieuse; ce qui heurtera ses parents.

En 1922, il épouse Suzanne Coquot (1902 – 2004). Ils auront 3 enfants: une fille et deux garçons.

En 1926, Marcel Petit est nommé professeur à l’École nationale vétérinaire de Toulouse. Il poursuit parallèlement des études à la faculté des sciences et présente un doctorat sur les molaires des équidés, à Paris en 1939. Ses collègues et étudiants décrivent un enseignant servi par une prodigieuse mémoire et un talent de dessinateur qui lui permettaient de faire ses cours, sans notes, craies en mains devant le tableau noir, avec une grande clarté pédagogique.

La seconde guerre mondiale va changer son destin et en faire un héros. Il est de cette génération qui, ayant souffert et survécu à la première guerre mondiale, aurait pu rester en retrait des évènements. Comme Marc Bloch, né deux avant lui et universitaire comme lui, malgré (ou à cause) de ses enfants, ils ne peuvent accepter la défaite de la France. Devenu directeur de l’école vétérinaire de Toulouse en 1941, il prononce des sanctions à l’encontre d’étudiants qui ont agressé des commerçants juifs en ville. Il est alors convoqué et surveillé par le Commissariat aux questions juives, créé en mars 1941. En novembre 1942, quand Toulouse est occupée par les Allemands, Marcel Petit fournit de faux papiers pour aider des étudiants résistants, et collecte des informations. Par son ami Lucien Fayman, Marcel Petit fut introduit dans le le réseau de résistance Prunus (dont il fut le membre le plus âgé) dirigé par Maurice Buckmaster. Il travailla à un sabotage de la Poudrerie de Toulouse, mais fut victime, comme d’autres membres du réseau, du redoutable agent double, Robert Moog, qui travaillait pour les nazis. Après son succès, Robert Moog devint l’adjoint de Klaus Barbie à Lyon et contribua à l’arrestation de Jean Moulin. Marcel Petit, interrogé et torturé au siège de la Gestapo toulousaine, ne livra aucune information, mais fut confondu quand il fut mis en face des informations détenues par les Allemands.

Il est déporté à Buchenwald le 27 janvier 1944. Fin février 1944 il est envoyé au terrible camp de Dora où étaient fabriqués les V2, dans des tunnels souterrains. A la suite d’un concours de circonstances extraordinaires, Marcel Petit se retrouve à travailler à l’infirmerie du camp où il est à même de recevoir et de diffuser des informations pour organiser entraide et résistance. Son extraordinaire mémoire lui a permis de retenir toutes les étapes terribles de son passage au camp de Dora et de les porter à la connaissance du public dans son livre « Contrainte par corps » ; sans se départir d’une modestie que ses  compagnons de malheur n’ont pas manqué souligner et de mettre en rapport avec l’efficacité de son action. Il faut lire ce livre trop peu connu, d’une très haute tenue morale, et témoignage exceptionnel sur la résistance à la folie nazie. Le camp fut libéré dans des conditions dramatiques en 1945.

L’école vétérinaire de Toulouse publia le communiqué suivant: « Monsieur le Professeur Petit, Directeur de l’École Vétérinaire de Toulouse, arrêté par la Gestapo le 13 avril 1943, puis déporté en Allemagne où il a connu les humiliations et les tortures des bagnes de Buchenwald et de Dora, a été rapatrié et se trouve en excellente santé à Toulouse, depuis le 16 mai 1945. »

Il avait 57 ans ; et survécu aux deux guerres mondiales.

Après la libération Marcel Petit fut nommé Inspecteur Général des Écoles Nationales Vétérinaires. Dans cette fonction il rénova et améliora l’enseignement de la médecine vétérinaire, et engagea la reconstruction de l’école vétérinaire de Toulouse.

Marcel Petit a rédigé son ouvrage « Contrainte par corps » entre 1947 et 48. On le dissuada de le publier. Bien plus tard, en 1971, dans le silence de nuits d’insomnies, il repris son texte pour le léguer à ses enfants et petits enfants en tant que souvenir et témoignage. Le livre fut finalement publié, par sa fille, en 2009, 23 ans après la mort de Marcel Petit. Ce livre, comme celui de Marc Bloch, est donc un livre miraculé.

Ceux de la Riolle, qui ont la France chevillée au coeur, ne devraient pas manquer ce témoignage de la vie extraordinaire du fils de l’instituteur de Civray sur Esves.

6 réflexions sur “Marcel Petit, de Civray sur Esves”

  1. Quel beau travail de mémoire pour le natif de Riolle! Merci d’avoir évoqué le souvenir de cette personnalité remarquable et d’avoir rappelé son livre.

    1. Merci de votre commentaire élogieux. Oui, il y avait dans les siècles précédents, partout dans les campagnes, des hommes et des femmes qu’on doit considérer comme des « personnalités remarquables ». En France bien sûr, mais aussi dans toute l’Europe. Où naissent aujourd’hui les Descartes, Rabelais, Vigny, Balzac…? Je crains, avec les massacres des dernières guerres, la concentration urbaine, l’arrivée en trop grand nombre de populations non européennes, et l’effondrement de la notion même d’enseignement, que nos belles campagnes soient devenues quasi-stériles. Marcel Petit n’a accepté ni le déclassement, ni la barbarie. N’oublions pas cet exemple; surtout qu’il nous parle de notre « pays », au plus près.

    1. Merci à vous aussi pour votre travail de mémoire si important pour toute la région de Sainte-Maure. Il n’y a pas d’avenir sans mémoire. Il n’y a pas d’histoire sans transmission.

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