A la recherche de Saint Gratien (2)

On sait d’après le Cartulaire de Noyers (1), dans sa charte DCLXII (non datée, mais vraisemblablement du début du XII ième siècle), que le corps de saint Gratien (ainsi que celui d’un enfant qui l’accompagnait) aurait été retrouvé au bord de la Riolle au lieu qu’on appelle « le pré de Sepmes », en réalité proche de Bournan et de Civray sur Esves. Pour Bernard Danquigny (2) ce lieu pourrait être la Tour Sybille. (Fig1)

Une première datation fait remonter la mort de Saint Gratien et de l’enfant qui l’accompagnait aux années 732-33 au moment de la bataille de Poitiers contre les musulmans. La légende dit aussi que le corps de saint Gratien et celui de l’enfant auraient été placés dans l’église de Sepmes. On sait par ailleurs, grâce au cartulaire de Noyers, que cette abbaye reçut en 1078 et vers 1100, tout ce que des notables de Sainte Maure possédaient en l’église de Sepmes. Et en particulier des reliques de Saint Gratien, dont une partie fut translatée à l’Abbaye de Noyers (détruite à la Révolution). Pour ce qui concerne l’église de Sepmes, on sait qu’elle fut pillée et dévastée par les protestants en 1562, mais le curé de la paroisse avait eu le temps de sauver le reste des reliques de Saint Gratien qu’il fit transporter à Loches.

Après les guerres civiles entre protestants et catholiques, les habitants de Sepmes voulurent récupérer leurs reliques de Saint Gratien. Une demande fut faite en particulier lors de l’ouverture des sépultures de Saint Ours, Saint Senoch et Saint Gratien, toutes trois en la Collégiale Saint Ours, en Juillet 1651. Nous reproduisons ci-dessous le procès verbal de l’ouverture de la sépulture de Saint Gratien. Mais ce n’est que 3 ans plus tard qu’une partie des reliques sera rendue à l’église de Sepmes. Ce procès verbal a été publié en 1874 par la Société Archéologique de Touraine. (3)

« Aujourd’hui vendredi 25 ième jour de juillet l’an 1651, à une heure après-midi, en l’église de St-Ours de la ville de Loches, nous, Maan, officier et grand vicaire de Monseigneur l’illustre et révérend archevêque de Tours, par lui commis en présence de vénérables frères, François Bucheron prieur, Jean de Bunon aumônier, Jacques Augeron chantre, prêtres religieux du monastère de la Ste-Trinité de Beaulieu, messires Bertrand de Chaspoux prieur, Grégoire Bouillac, chanoine en l’église collégiale de Notre-Dame du château de Loches, messire Albert Contant, prieur commendataire de la dite église de St-Ours et curé de St-Jean-sur-Indre, messire Germain Bourguignon, prêtre curé de la dite église de St-Ours, frère Pierre Blondeau, gardien du couvent des Cordeliers dudit Loches et un de ses religieux, du vénérable gardien du couvent des Capucins dudit Loches et un des religieux dudit couvent son compagnon, de MM. Emery d’Alonneau, conseiller du roy, président, lieutenant général au siège dudit Loches, Jean Barbotin aussi conseiller du roy, lieutenant particulier, André Carreau, aussi conseiller du roy, lieutenant criminel au dit siège, et l’un des procureurs fabriciens de ladite paroisse, MM. Jacques Gaultier, l’aîné, conseiller du roy audit siège, Gilles le Court aussi conseiller et avocat du roy, François Pénissault aussi conseiller et procureur du roy audit siège, François Boulay aussi conseiller du roy, assesseur dudit siège, et maire de Loches, messire Julien Geoffroy, conseiller du roy, président, procureur du roy en ladite élection ; messieurs Jean Charfourg, sieur de la Piardière, conseiller du roy, grenetier aux greniers à sel dudit Loches, Jean Boulanger, avocat du roy audit grenier, Olivier Rolland le jeune, avocat en parlement, Pierre Garnier et Jean Martin, marchands échevins de ladite ville, maitre Jacques Gaultier, avocat audit siège, Jean Lubin, procureur en l’élection et grenier à sel, et Pierre Venier marchand, procureurs fabriciens en ladite église et paroisse, convoqués et assemblés en ladite église de notre part… »

 » avons fait défaire et ouvrir un tombeau que l’on tient de tout temps être le tombeau de saint Gratien, étant élevé dessus une petite voute de pierre de taille, derrière l’autel du même saint, au choeur de ladite église St-Ours, lequel était en forme de pyramide longue, de pierre de taille à chaux et à sable ; et ayant été défait par ledit Rousseau, maçon, s’est trouvé un cercueil de pierre dure, de longueur de six pieds, dans lequel tombeau élevé sur ladite voûte de la même hauteur de l’autel, s’est trouvé un coffre de 2 pieds de long et d’un pied de large, couvert de cuir noir cloué de clous tant plain que vide, ayant une serrure ; et dans le même tombeau sous ledit coffret, s’est trouvée la clef de ladite serrure, toute mangée de rouille aussi bien que lesdits clous, pour le long temps qu’il y a que ledit coffret est enfermé dans ledit tombeau ; et ayant ledit coffret ouvert, s’est trouvé dans celui ci plusieurs ossements, et sur ceux ci des morceaux d’un linge tissu d’ouvrage en plusieurs pièces, lesquels ossements ayant été tirés et examinés, en a été le dénombrement fait par ledit Meler et Pierre Moreau, maîtres chirurgiens, comme s’ensuit :

Premièrement les deux fémurs, les deux gros faucils des jambes en huit pièces, les deux petits faucils des jambes en quatre morceaux, les deux petits faucils des bras en six morceaux, le tout d’un grand corps humain ; deux autres petits faucils des bras d’un petit corps humain de jeune âge en 5 pièces, deux autres petits faucils des jambes dudit petit corps, la mandibule inférieure avec quatre dents dudit petit corps, un morceau de la mandibule supérieure dudit petit corps ayant deux dents, une autre dent, un autre morceau de la mandibule supérieure dudit petit corps à laquelle il tient encore deux dents; neuf morceaux du crâne du grand corps, dont l’un est l’os occipital ; deux dents dudit grand corps. dont l’une est la dent canine ; l’os ischion avec un autre qui l’accompagne, dudit grand corps ; deux morceaux des humerus dudit petit corps, sept morceaux du crâne dudit petit corps, l’un l’os petrus ; deux des parties temporales; les omoplates du grand corps en cinq morceaux, deux morceaux de l’omoplate du petit corps ; l’os radius du grand corps ; trois morceaux de la clavicule du grand corps et deux morceaux de la même clavicule du petit corps ; les deux rotules dudit grand corps ; 14 morceaux de côtes vraies et sept morceaux de côte, les deux condilles de la  jambe, 4 morceaux de malléole; 17 os du carpe et métacarpe; 23 os du tarse et métatarse dudit grand corps; deux morceaux de rotules du petit corps et une rotule entière. ; 22 vertèbres, 15 côtes, un morceau des côtes dudit petit corps, 4 os du carpe et 4 du tarse du même petit corps, et quantité de plusieurs petites esquilles et morceaux d’os qui n’ont pu être nommés, que l’antiquité a séparés, dedans et au travers desquels ossements se sont trouvés plusieurs morceaux de benjoin et de storax.

Et après ledit dénombrement ci-dessus, avons remis lesdits ossements dans un linge blanc au dedans du dit coffre ou chasse, qui a été rangé et resserré dans un coffre fermant, à clef étant derrière l’autel de ladite église, dont la clef a été par nous délaissée audit Bourguignon curé; et requérants les assistants avons fait foi de ce que à la voûte de ladite église de dessus dudit autel saint-Gratien, il paraît une image du même saint ou peinture dessus la pierre, aux deux cotés duquel sont deux anges qui encensent, avec ces mots St-Gratien en lettres anciennes; plus au coté droit au bas de la paroi, de la même peinture, une châsse avec un personnage en habit dessans desoubs qui porte un mouton, et ensuite une procession ecclésiastique… »

« En 1654, le 25 juillet, Mgr le Bouthillier archevêque de Tours (Fig2) étant à Loches, se fit représenter le coffre où étaient renfermées les reliques de saint Gratien. En ce moment, François de la Croix, curé de Beignes, et Claude Goussay, gentilhomme de la vénerie du roy, intendant des affaires du prince de Guémenée, duc de Montbazon, assisté du procureur fiscal, remontrèrent que les corps de Saint Gratien et du petit Saint Sampson avaient été enterrés premièrement dans la chapelle de St-Gratien au bourg de Sepmes ; et pendant les guerres civiles on les avait transférés à Loches pour les mettre en lieu de sureté, excepté une partie notable conservée dans l’église de Sepmes, dont la fête s’y célèbre le 13 novembre. A quoi les habitants de Loches, les maires et échevins à leur tête, ont répliqué que le corps de Saint Gratien était à Loches de temps immémorial. Pour accorder les parties, Mgr l’archevêque partagea les reliques de Saint Gratien conservées à Loches, et en donna une partie au curé de Sepmes; ce qui fut consenti par les habitants de Loches ». (Fig 3 et 4)

Bibliographie:

1- Cartulaire de Noyers. Traduction Paul Letort. B. Danquigny édition

2- Danquigny Bernard: La bataille de Sainte Maure de Touraine

3- Bulletin de la SAT Tome III 1874-75-76, pages 70-80

Terminologie:

Faucil: le terme ne se trouve sous cette forme dans aucun des dictionnaires actuels. Cependant, compte tenu de l’évolution orthographique depuis le XVII ième siècle il est tentant de lire « Fossile ». D’autant que le Littré au XIX° siècle en donnait ce sens:

« Fossile: toute substance qui se tire de la terre, telle que minéraux, roches etc…Particulièrement coquilles, plantes, et tout reste de corps organisés que l’on trouve enfouis…

Benjoin: Baume qui découle d’incisions faites au tronc du Styrax Benzoin (Littré)

Storax: Baume de consistance variable et d’une odeur très agréable dans laquelle on reconnait celle de l’acide benzoïque. Le storax provient du Styrax officinale (Littré)

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