Les chèvres de la Riolle (2): la sélection

Comme nous l’avons rappelé dans le premier post sur les chèvres de la Riolle, ces animaux, domestiqués par l’homme dès le début du néolithique, avant les vaches, n’ont pas été considérés comme un bétail à part entière, dans notre pays, avant les années 1920. Jusqu’à cette date les chèvres étaient des sortes d’animaux de basse cour, intégrés dans la vie des familles et des fermes. Les femmes en général s’occupaient d’en tirer du lait et de façonner des fromages pour la consommation familiale, et parfois revendus sur les marchés locaux. Les qualités des chèvres sont pourtant remarquables:

  • de plus petite taille que les autres animaux de la ferme, la chèvre peut se glisser dans des bâtiments de dimensions plus modestes,
  • leur rusticité leur permet de s’adapter à toutes les topographies grâce à leur légèreté et leur pied sûr; de plus elles résistent au froid comme aux fortes chaleurs
  • rapporté à son propre poids, le poids de lait produit par une chèvre est supérieur à celui d’une vache,
  • son alimentation, par la vaine pâture, était peu exigeante et économique,
  • outre son lait la chèvre, par la production de biquets, contribuait à l’alimentation carnée des campagnards. La viande de chèvre est connue pour être maigre et de bonne qualité.
  • la peau de chèvre a été utilisée pour réaliser des outres et surtout pour fournir du parchemin jusqu’à l’invention de l’imprimerie.
  • le caractère assez placide de l’animal est compatible avec une semi-liberté et son gardiennage par des enfants,
  • la chèvre est intelligente et s’attache à son soigneur,
  • par ses préférences alimentaires, elle s’avère être un véritable désherbant sélectif des végétaux indésirables

En fait, les qualités intrinsèques des chèvres ont fait que, jusqu’à la fin du 19°siècle, elles n’ont pas poussé à des sélections particulières, ni à des élevages organisés pour la production laitière ou fromagère. Dans la vallée de la Riolle les chèvres étaient issues de croisements peu contrôlés à partir de la race poitevine très ancienne dans la région. On comptait 13850 chèvres en Indre et Loire en 1840, et 24500 en 1892 (mais 140000 en Corse à la même date), sachant que la Loire constituait à peu près la limite nord des territoires caprins de notre pays.

Les premiers signes d’intérêt portés à la chèvre en Touraine datent des années 1860-80 avec des récompenses pour des éleveurs dans différents concours des comices. « En 1906 Joseph Crépin publie son traité de 333 pages La chèvre, son histoire, son élevage pratique, ses bienfaits, ses services, qui va servir de référence jusque dans les années 1960…C’est lui qui est à l’origine de l’intérêt porté à la filière caprine en France.

Au sortir de la grande guerre il fonde le club de la Chèvre de Race Pure et établit un livre généalogique pour enregistrer et suivre les animaux reconnus conformes aux standards de la race. Plusieurs personnalités d’Indre et Loire y jouent un rôle important pour l’évolution du cheptel: le marquis Maximilien de Lussac (1879-1944) propriétaire du Château de Comacre à Sainte Catherine de Fierbois, et Solange Lecointre (1897-1954) au Château de Grillemont, à la Chapelle Blanche Saint Martin qui élève des chèvres de race alpine chamoisée pour la production laitière. (1) Au Château de Comacre une centaine d’animaux de race Alpine sont installés dès 1924, et s’y reproduisent. Le bouc connu sous le nom de « Pan de Comacre » donnera une nombreuse descendance à Grillemont.

Cette sélection modifie sensiblement la constitution génétique des troupeaux de la région Centre, d’autant que le nombre de chèvres augmente de 40% par rapport à ce qu’il était en 1892: on dénombre ainsi plus de 2000 chèvres dans le canton de Sainte Maure en 1933.

Malheureusement à cette époque « la plupart des élevages élites de race pure Alpine sont décimés par des maladies et faute de traitements » (1). Les troupeaux qui subsistent sont très hétéroclites.

C’est en 1958 qu’est créé le Syndicat des Eleveurs de Chèvres en Touraine dont la Présidente fondatrice sera Madame Colette de Saint Seine (1920-2017), fille de Madame Solange Lecointre, du château de Grillemont. Au sortir de la seconde guerre mondiale elle a reconstitué un élevage caprin avec des animaux de race Alpine Chamoisée. Dans son troupeau, qui, au début des années 1960, comprend une quarantaine de chèvres et une quinzaine de boucs, Madame de Saint Seine pratique une sélection des animaux pour qu’ils répondent au mieux aux standards de la race Alpine Chamoisée, et soient de bons producteurs de lait. Elle échange des géniteurs avec les élevages réputés en France et importe des animaux d’Angleterre. Ses chèvres sont primées dans de nombreux concours régionaux et nationaux. Madame de Saint Seine, élue vice présidente de la FNEC en 1958, prend le contrôle du Livre Généalogique Alpin (LGA) et le tiendra au château de Grillemont de 1962 à 1972. En 1960, l’Indre et Loire compte déjà 46 chèvres et 18 boucs inscrits au LGA. Elle oriente ainsi de façon décisive le patrimoine génétique du cheptel caprin français.

Mme Colette de Saint Seine raconte elle même l’implication de sa famille dans l’amélioration du cheptel caprin. Au lendemain de la guerre de 14 « dans les terrains par ici, appelés « Plateau de Sainte-Maure », la chèvre et son fromage étaient une activité notoire, mais on pouvait améliorer sa productivité : des groupes d’agriculteurs, dont Lecointre bien sûr, importèrent des Alpes et de Suisse des chèvres Alpines et Saanen blanches…A la guerre de 39, l’utilité d’un animal non réquisitionnable, a permis de développer l’élevage caprin. Les éleveurs de ces races ont créé des syndicats départementaux, réveillé les livres généalogiques de chaque race, et se sont fédérés. Il a fallu lutter car la chèvre était très sous-évaluée. Je me souviens de vétérinaires disant, quand on leur apportait une chèvre à soigner, que le meilleur remède pour une chèvre était un coup de bâton derrière les oreilles. Petit à petit, ils ont consenti à les considérer comme des « clientes ». Pour ce grand travail de structuration et de promotion  des syndicats et livres généalogiques pour caprins, j’ai eu la chance d’être chargée, dans ce cadre, de remettre en route le Livre Généalogique Alpin (LGA), d’être bien suivie par les éleveurs et aidée par le Ministère de l’Agriculture. Au LGA, les animaux étaient tatoués, confirmés comme conformes au standard par des inspecteurs du LGA, obligatoirement soumis au contrôle laitier. Il y avait des expositions dans chaque syndicat départemental, une « Nationale d’Elevage » chaque année. Cela a duré 12 ans ; j’en ai été récompensée par des médailles : Officier de l’Ordre National du Mérite, et Chevalier du Mérite Agricole. J’ai beaucoup appris et été passionnée par ce travail. » (2)

En 1965, l’Indre et Loire comptait 27400 chèvres réparties en 6035 élevages, sur toutes les communes du Département; soit une moyenne de 4,5 chèvres par élevage. Le petit élevage prédomine: 95% ont moins de 10 chèvres, et 5 seulement en ont plus de 50.

En 2015, la mutation est brutale: le nombre de chèvres dans le Département est de 28000 (après être passé par 40000 en 1975) mais il ne reste que 200 élevages, soit une moyenne de 140 animaux par élevage.

De nos jours, où la race Alpine Chamoisée représente plus de 60% des troupeaux de notre région (race Saanen de l’ordre de 50% et Poitevine pour le reste), l’INRA et l’ITOVIC permettent d’identifier les meilleurs géniteurs pour mettre en place un schéma global de sélection intégrant l’insémination artificielle et les performances laitières.

Nous verrons dans un prochain post comment les éleveurs de la vallée de la Riolle se sont adaptés à cette évolution et les conséquences en matière de production de lait.

Bibliographie

(1) Desbons Pierre. Histoire de l’élevage caprin en Touraine. Mémoires de l’Académie des Sciences, Arts et Belles-Lettres de Touraine, Tome 32, 2019, p.107-123

(2) https://histoire-agriculture-touraine.over-blog.com/2018/03/collette-de-saint-seine-la-dame-aux-levriers-cynophilie-francaise-2006.html

2 réflexions sur “Les chèvres de la Riolle (2): la sélection”

    1. Courtois jean-louis

      Oui,c’est très intéressant,on en apprend des choses sur les biquettes !
      Merci pour toutes ces informations.
      Josette et Jean-Louis

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