Les chèvres de la Riolle (3): le lait

Si l’homme peut exploiter la viande ou la peau des chèvres, il est bien clair que c’est avant tout pour son lait que la chèvre est devenue un bétail à part entière dans notre agriculture. Nous avons signalé comment cet animal, très anciennement établi dans notre région, avait profité des travaux de Colette de Saint Seine, à Grillemont, pour évoluer vers une amélioration des races exploitées en France.

Le lait de chèvre a toujours joui d’une bonne réputation en terme de digestibilité, qualité qui faisait que dans les fermes les enfants ont souvent été élevées avec ce lait. On cite même des endroits où la étant chèvre montée sur une petite table, on y allongeait le bébé pour qu’il puisse directement téter sous la chèvre habituée à la manœuvre.

Toujours est-il que le lait de chèvre est effectivement riche en acides gras courts. Il profite aussi de la petite taille des globules gras qui le composent, ainsi que de triglycérides à chaîne moyenne et courte. Ces caractéristiques sont identifiées dans le lait des producteurs par 2 indices: matière grasse (MG) et matière protéique (MP). On parle aussi de taux butyreux et taux protéique.

Ces taux qui sont des marqueurs de la qualité du lait, varient en fonction de la période de lactation, et donc de la période de mise bas des chèvres. Tout comme la quantité de lait produit par les chèvres.

Un autre indicateur important de la qualité du lait est le nombres de cellules et de germes présents ou absents qu’on y trouve. Ces indicateurs, ainsi que la présence ou non d’inhibiteurs, sont suivis très régulièrement chez les producteurs de lait de chèvre pour qu’ils puissent contrôler leur élevage et l’améliorer. (Fig 1 et 2)

En général les chèvres sont traites deux fois par jours (vers 6h et 18h) mais parfois, selon les conditions, une seule traite peut être réalisée. La traite manuelle a disparu de notre région, en même temps que les exploitations se sont organisées autour de troupeaux de plusieurs dizaines, voir de centaines d’animaux. Une chèvre donne en moyenne environ 2,5 à 3 litres de lait par jour, soit près de 1000 litres par période de lactation. Rapportée aux poids des animaux, la production de lait d’une chèvre est supérieure à celle d’une vache laitière.

Le lait produit dans les élevages de la Riolle peut respecter différents cahiers des charges:

  • Produit et traité à la ferme pour être transformé en fromage AOP (nous verrons dans un prochain post ce qui signifie cette appellation)
  • Produit et traité à la ferme en étant certifié bio et sous mention « nature et progrès »
  • Produit pour être vendu à des entreprises qui le transformeront, soit en fromage AOP, soit en lait pasteurisé.

Dans notre vallée de la Riolle, il y a 50 ans quand je m’y suis établie, il y avait des chèvres et du fromage de chèvre dans pratiquement toutes les fermes. Aujourd’hui, pour les 4 communes de la Riolle, il ne reste que 4 élevage de chèvres (mais le nombre de chèvres présentes dans ces communes et bien plus important qu’il y a 50 ans): 3 à Bournan et 1 à Sepmes.

Pour réaliser ce post nous avons été reçus par les 4 équipes de ces élevages et nous voulons d’abord les remercier car ce fut un véritable plaisir, et fort instructif, de discuter de leur métier et de voir à quel point ils sont tous amoureux de leurs chèvres. La taille des animaux, leur caractère enjoué et familier est peut être une des raisons du fait que la relation est beaucoup plus forte qu’avec les vaches, entre l’éleveur et l’animal.

Voyons ces élevages.

1- Bournan, L’instant Caprin. (Les Bruyères) Cette exploitation vient de changer très récemment de propriétaires et notre enquête s’est déroulé avec l’ancienne équipe. Il semble y avoir une certaine continuité dans l’exploitation. Aux Bruyères, les 70 chèvres étaient comme les enfants de la famille. 3 boucs sélectionnés à l’extérieur (Capgènes), porteurs du gène caséine alpha S1, sont exclusivement chargés de la reproduction (en septembre). Il s’agit d’un troupeau saisonné, géré par la variation de luminosité des saisons qui déclenche la fécondité. La plupart des chèvres sont de race Alpine chamoisée, mais il y a aussi quelques Saanen et Poitevines. La mise bas a lieu en janvier- Février, ce qui conduit à une lactation plus importante et plus riche en Février, Mars, Avril, Mai…

Les chèvres sont conservées en moyenne 5 à 7 ans avec des périodes de lactation de 300 jours par an. 2 traites par jour.

La totalité du lait récolté est transformé sur place en fromage, sans rechercher de label particulier, sachant que la qualité de l’alimentation et de liberté de mouvement du troupeau est recherchée en permanence, avec des très grandes périodes au pâturage en extérieur. Le reste de la nourriture est principalement produite sur l’exploitation, y compris l’herbe fraîche mise en mangeoire.

La totalité du lait est traitée à la fer pour la fabrication de fromages AOP qui sont vendus soit sur place soit sur les marchés.

2- Bournan, Mr et Mme Hubert Regnier. (Haut Paimbault) Environ 80 chèvres sont installées dans cette exploitation; la moitié de race Alpine chamoisée et l’autre de race Saanen. Ces chèvres Saanen, bien que plus petites que les alpines sont ici plus productives (mais le lait est moins riche en graisses et protéines), et sortent plus. Le troupeau est en général dans des parcs.

Le troupeau est saisonné et la reproduction assurée par des boucs sélectionnés. Cependant, l’évolution de l’exploitation, pour des questions d’organisation, s’oriente vers l’insémination artificielle.

Environ 25 à 30% des chèvres, après 3 ans de lactation continue, passent en reproduction.

La quasi totalité de l’alimentation est produite sur l’exploitation: luzerne, orge, maïs, tournesol et pulpe de betterave.

Il y 2 traites par jour, chaque animal produisant environ 1000 litres de lait par an.

Autrefois, tout le lait était transformé en fromage à la ferme. Mais les contraintes de la fromagerie s’ajoutant à celle de la production de lait, Mr et Mme Régnier ont considéré qu’il s’agissait là de 2 métiers différents. Dès lors la majeure partie du lait (95%) est vendue à un organisme collecteur (La cloche d’or) qui traite le lait comme AOP. Du fromage AOP reste élaboré à la ferme pour 5% du lait produit « pour ne pas perdre la main ». La quasi totalité est faite de bûches de Sainte Maure avec quelques fromages ronds et des crottins.

Cette exploitation propose aussi des gites pour l’accueil des touristes.

3- Bournan, Gaec des Sabotines (Ouverdière) La famille Blanchet a su organiser la plus grosse exploitation laitière de la vallée de la Riolle, avec environ 300 chèvres dont 280 en production. Si le troupeau (de race Alpine) est surtout maintenu dans la chèvrerie, il dispose néanmoins d’espaces associés pour se dégourdir les pattes. Et là aussi les chèvres sont connues par leurs noms et sélectionnées selon leurs qualités propres. Si elles sont conservées en moyenne 4 à 5 ans en production, certaines sont conservées 10 ans même si elles ne produisent plus de lait.

Dans ce troupeau saisonné, la reproduction est d’abord le fait de boucs sélectionnés par Capgènes. Il y a près de 330 naissances par an. Mais il y a aussi une soixantaine de chèvres sans reproduction, en lactation longue, et 60 autres qui sont inséminées. L’alimentation en luzerne vient de l’exploitation, avec quelques compléments d’azote, et de tournesol pour la matière grasse. Le lait est obtenu par 2 traites quotidiennes, sur environ 300 jours de lactation par an, chaque animal fournissant en moyenne 950 litres par an.

Ici, le lait est entièrement revendu et aucun fromage n’est fabriqué sur place. Le lait est ramassé par Agrial (Soignon) a un prix qui dépend de sa richesse en matière grasse et en matière protéique; ainsi que du nombre de cellules observées dans le lait analysé tous les deux jours. Selon la qualité, le lait est transmis, soit à l’usine de Tournon Saint Martin (37) où il est pasteurisé, soit à l’usine de Dissay (86) où il est utilisé pour faire des fromages AOP.

Dans cette exploitation, organisée selon des méthodes très normalisées, la difficulté principale est de faire face à l’accroissement des exigences sanitaires et des contrôles dont dépend le prix final du lait. Le prix payé étant sans relation avec le prix de production du lait. Et il faut savoir que les normes françaises sont, en matière sanitaire, les plus sélectives.

4- Sepmes, La Ferme du Cabri au lait. (Les Héraults) Cette exploitation ce caractérise par sa volonté de produire du lait et des fromages biologiques, certifiés bio et sous la mention « Nature et Progrès ». Les cahiers des charges visent la qualité et non la quantité de lait, d’où une production moindre de lait. Ici les chèvres donnent environ 750 litres de lait sur les 9 mois de production annuelle. Ce choix a été fait en 2009, quand Sébastien a décidé à 40 ans de changer de vie et de s’orienter vers l’agriculture biologique.

Le troupeau est d’environ 100 chèvres, de race Alpine, auquel il faut ajouter les 30 chevrettes conservées chaque année pour son renouvellement. C’est un troupeau saisonné avec mise bas en février, et où la reproduction est assurée par 3 boucs de la ferme ou acheté à des élevages bio pour éviter la consanguinité.

Ce troupeau a la possibilité d’aller en extérieur pratiquement par tous les temps. La nourriture bio est produite sur place, quasiment en totalité, l’alimentation étant composée à 80% de luzerne (fraîche ou séchée), de trèfle, potier, graminées des champs et paturon. Du foin est aussi apporté. Les compléments de graines sont également produits sur la ferme.

Il n’y a qu’une traite le matin, et le lait est bu par les petits aux pis de leur mère pendant deux mois. Au total il y a 70 jours par an sans traite; ces éléments expliquant aussi la plus faible quantité de lait produit en comparaison des autres exploitations de la Riolle.

La totalité du lait est utilisé sur place pour la fabrication de fromages, yaourts, faisselle, tommes
certifiés en Agriculture Biologique.

Cette ferme du Cabri au lait a développé des activités diversifiées pour rester ouverte vers l’extérieur et pour la production et transformation de plantes aromatiques et médicinales biologiques; boutique sur place et en ligne de produits biologiques de la ferme…

Dans la Vallée de la Riolle il ne reste que 4 fermes qui exploitent les chèvres et leur lait. Mais avec près de 600 chèvres, bien sélectionnées, notre petit coin de sud Touraine n’a jamais été aussi riche de son troupeau caprin et de ses productions. De plus, il est agréable d’observer que ces 4 exploitations, respectant les mêmes normes sanitaires, ont opté pour 4 modèles différents:

  • aux Bruyères, lait conservé pour une fabrication de fromage sur place, sans recherche de certification, vendus à la ferme et sur les marchés,
  • au Haut Pimbault, la plupart du lait revendu pour des fromage AOP, avec une très faible part conservée pour une fabrication à la ferme
  • à l’Ouverdière, production laitière strictement orientée vers la revente, soit pour du lait pasteurisé, soit pour des fromages AOP
  • aux Héraults exigence d’agriculture biologique avec production et vente de fromages AOP bio.

Nos territoires et nos agriculteurs sont admirables.

4 réflexions sur “Les chèvres de la Riolle (3): le lait”

  1. Petite précision concernant la destination du lait de chèvre du Gaec des Sabotines, la quasi totalité du lait, lorsqu’il qu’il est dirigé chez Eurial Tournon Saint Martin, est utilisé en cru pour faire du Sainte Maure AOP.

  2. Encore MERCI pour toutes ces précisions concernant l’élevage de « biquettes » dans la vallée de La Riolle.
    Mais que seraient devenues les chèvres de mes grands-mères des années 50 60 au milieu de ces troupeaux ?

    1. Voulez- vous dire que les chèvres (souvent non sélectionnées), animaux quasiment domestiques que gardait votre grand mère assise sur un talus en regardant la vallée, auraient peut être du mal à devoir se plier aux règles d’un élevage plus normé? Peut être. je ne sais pas répondre à cette question. Mais ne pourrait-on pas retourner la question au sujet des humains? Comment les femmes et les hommes, qui, dans les années 50-60 vivaient sans doute plus chichement d’un point de vue matériel, supporteraient-ils l’ensemble des contraintes matérielles, administratives et morales d’aujourd’hui? Notre apparente liberté n’est-elle pas du même ordre que la précision des élevages de chèvres?
      Comme je n’ai pas la réponse je vais aller interroger les biquettes du coin.

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