Les loups de la Riolle.

Grâce aux travaux de Madame Raymonde Janvier*, qui explora les archives de la commune de la Chapelle Blanche Saint Martin pendant des années, nous relevons dans les avis du conseil municipal, pour l’année1883:

« On rappelle en ce début d’hiver que les loups continuent à faire des ravages dans les forêts d’Indre et Loire. Plus de 200 personnes sont mortes cette année par des morsures de loups, souvent enragés.

Aussi offre-t-on: 150 Frs pour abattre une louve pleine, 100 Frs, un loup ou une louve, 40 Frs pour un louveteau ».

1883 ce n’est pas si loin! La loi sur l’instruction publique obligatoire fut votée l’année précédente.

A la fin du 18ème siècle, il y avait entre 15 000 et 20 000 loups en France (estimation à partir d’une moyenne de 6000 loups tués annuellement).
Après la chasse organisée, l’espèce a disparu au cours des années 1930. Les loups colonisent à nouveau le pays et les analyses génétiques montrent que tous les loups présents en France en 2024 proviennent de la souche d’origine italienne. En fin d’hiver 2022-2023, la population de loups en France est estimée à 1104 individus (source : OFB). En 2015, les loups ont attaqué des troupeaux et ont tué près de 9 000 animaux (principalement des ovins) en France entraînant une dépense de l’État estimée à 2,5 millions d’euros, rien que pour l’indemnisation des éleveurs. De 2017 à 2019, le nombre d’animaux attaqués s’est élevé à environ 12 500 par an.

Les travaux de recherche de J.M. Moriceau (1 et 2) montrent qu’entre les années 1580 à 1842, on pourrait attribuer chaque année 1100 cas de prédation de l’homme par les loups, plus 400 cas de décès à la suite de morsures de loups enragés. Les victimes sont en très grande majorité des enfants ou adolescents isolés, voire des femmes. Ce qui représenterait environ 18 000 cas du 15e siècle au 20e siècle. Avec le cas exceptionnel des 6 000 victimes attribuées à la Bretagne occidentale pour la fin du 16e siècle, c’est plus de 12 000 attaques que l’on peut recenser (dont 8 672 dues à des loups prédateurs et 3 731 à des loups enragés. Au moins 5 000 loups ont été tués en Picardie au 19e siècle.

En France, une loi du 3 août 1882 demande la destruction du loup; d’où le rappel en conseil municipal à la Chapelle Blanche. Plus de 1 300 loups sont détruits en 1883 sur le territoire national, puis quelques centaines chaque année jusqu’en 1902. Le retour des loups en France n’est pas en mesure de recréer les conditions qui conduisirent à son élimination in y a presque un siècle.

Mais je pense souvent à ces petits Chapellois et Chapelloises, bénéficiant de la nouvelle instruction publique, qui devaient chaque jour, matin et soir, marcher en forêt, pendant des kilomètres parfois, de nuit comme de jour, pour aller de leur ferme à l’école. Pensaient-ils aux loups? Les très jeunes écoliers en sabots, qui partaient du Fay pour aller au bourg, à travers les kilomètres de bois de Grillemont, étaient-ils inconscients ou courageux? Courageux sans doute. Pas de lampadaires, pas de parents pour accompagner en voiture ou en vélo, aucun secours à attendre, ni contre les loups, les sangliers, renards ou autres animaux sauvages. 100 Frs pour un loup? Ça se comprend.

Et, ce qui était vrai pour la Chapelle Blanche Saint Martin l’était bien sûr pour les 4 communes de la Riolle.

Bibliographie:

1- Jean-Marc Moriceau, « Mythe ou réalité ? Les loups mangeurs d’hommes », L’Histoireno 299, juin 2005, p. 64-69 (ISSN 0182-2411)

2- Jean-Marc Moriceau, « Histoire du Méchant Loup », avril 2016, p. 18 (ISBN 978-2-818-50505-2).

* JANVIER Raymonde (extrait du site de la commune de la Chapelle Blanche Saint Martin)1920 – 2010, elle est née à Ligueil où ses parents étaient commerçants. Après le décès de sa mère en 1932, son père et elle partent à Paris où elle fait ses études, en particulier au lycée Fénelon. Elle enseigne l’anglais pendant une grande partie de sa carrière avant d’être nommée principale de collège au Perreux-sur-Marne. Elle sera faite chevalier puis officier des Palmes académiques. Toujours fidèle à ses racines tourangelles et son amour pour sa région, elle s’installa dans la maison de famille à La Chapelle-Blanche-Saint-Martin, une fois la retraite venue. Soucieuse de mettre à profit son temps libre, elle se lança avec passion et minutie dans des recherches documentées et approfondies sur l’histoire de sa commune et par voie de conséquence sur le lochois, avec l’aide précieuse de Mme Marcelle Saulquin. Elle a publié le fruit de ce travail dans les bulletins municipaux du n° 8 en 1985 au n° 18 de 1995 « Histoire d’un village du sud lochois – La Chapelle-Blanche-Saint-Martin 1789/1939 ».

6 réflexions sur “Les loups de la Riolle.”

  1. Intéressant rappel historique d’un sujet surprenant! Je n’imaginais pas du tout des loups près des villages dans nos régions et présentant encore un réel danger dans un passé pas si lointain.
    A. B.

  2. Chantal de Saint-Seine

    Il faut interroger Daniel Bertrand. Il m’a raconté que son arrière grand mère (ou arrière arrière…) allait livrer ses betteraves aux installations de M. de Gasville au Fay dans sa carriole. Elle avait toujours avec elle sa dague à loup laquelle est toujours chez lui.

    1. Merci pour vos commentaires qui montrent qu’un tel sujet ne peut pas être « oublié ». Mais il est vrai que notre monde, où l’action humaine aboutit involontairement à la destruction d’innombrables espèces, doit trouver d’autres réponses que l’élimination totale d’animaux considérés comme prédateurs.

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