Protéger et sauver la Chapelle Saint-Hubert de Bournan

Dans le bulletin de la Société Archéologique de Touraine de l’année 2001, Frantz Schoenstein a publié un article passionnant « Sur quatre édifices religieux oubliés du canton de Ligueil ». Le premier édifice cité et illustré était la chapelle Saint-Hubert de Bournan. 23 ans après la parution de cet article, il nous semble important de reproduire ci dessous le texte de Frantz Schoenstein qui concerne cette chapelle et sa description de l’époque. Puis d’émettre un souhait.

2001

Tel un «vieux burg», selon le mot de Jacques- Marie Rougé, le château de Bagneux domine le pays de Ligueil de ses quatre tours féodales, dont deux ont conservé leurs toits en poivrière. Ce château a été étudié par plusieurs auteurs (1) tant son intérêt est manifeste, même s’il ne bénéficie depuis 1927, que d’une inscription à I’inventaire supplémentaire des Monuments Historiques.

Curieusement, les descriptions qu’en ont laissé ces auteurs ont passé sous silence un petit édifice, situé à proximité immédiate, dans un champ, et qui n’aurait pas dû manquer de susciter leur curiosité.

Il s’agit d’un bâtiment rectangulaire, d’environ neuf mètres (côtés nord et sud) sur sept, dont les murs sont bâtis en petits moellons irréguliers soigneusement disposés; aux angles, des pierres plus grosses et plus régulières forment une sorte de chaînage en besace (fig. l). Des pierres débordantes laissent supposer l’existence ou le projet d’une construction accolée, au nord-est.

Couverture, charpente et voûte ont malheureusement disparu, et le bâtiment est menacé de ruine rapide ; en effet, une végétation très dense, composée de lierre et d’arbustes, l’enserre de toutes parts, et recouvre les arases des murs. Surtout, deux arbres de belle taille croissent, l’un à proximité du mur oriental, à l’extérieur, sans causer pour l’instant de dégât apparent, l’autre à l’intérieur, tout contre le mur méridional. La poussée exercée par les racines de ce dernier, déjà probablement âgé de plus de vingt ans, a commencé de fissurer et de désorganiser les maçonneries de ce côté du bâtiment.

Ainsi, si le mur nord apparaît presque intégralement conservé, et présente sur toute sa longueur une hauteur régulière, de plus de six mètres, son vis-à-vis méridional, largement masqué par le lierre, est profondément altéré : l’angle sud-est du bâtiment, qui comprend un curieux «linteau» de bois dans ses maçonneries basses, a déjà partiellement disparu (fig. 2). Il y a tout lieu de craindre que l’arbre qui le jouxte- s’il n’est pas abattu dans un proche avenir, jette à terre ce pan de mur, dont la dégradation est déjà telle qu’un chaînage semble du moins dans un premier temps nécessaire à court terme. Ces deux murs sont aveugles.

Le mur oriental était un mur pignon ; l’élévation semble conservée sur presque toute sa hauteur, soit près de neuf mètres (fig. 3). II présente la même régularité que le mur septentrional, et un bon état de conservation, sauf pour son tiers méridional. L’intérêt de ce mur réside principalement dans sa petite baie centrale, en arc très légèrement brisé. Chacun des côtés est constitué de quatre pierres disposées très régulièrement, et creusées en un ébrasement très léger à l’extérieur, plus prononcé à l’intérieur. Les deux pierres inférieures sont taillées de façon à former l’appui de la fenêtre ; manque à cet appui la pierre centrale qui les reliait. Enfin, l’arc lui-même est constitué, à l’intérieur, de plusieurs claveaux, mais à l’extérieur, d’une seule grosse pierre, que la végétation a malheureusement endommagée.

Quant au mur occidental, il est constitué de pierres de taille, encadrant une belle porte en anse de panier, qui présente trois voussures sans ornement, s’appuyant sur deux colonnettes très altérées (fig. 4). A l’intérieur, l’arc s’est malheureusement effondré, mais il subsiste intact à I’extérieur. Gravée sur une pierre, à droite de la porte, à l’intérieur, on lit l’inscription suivante : «LA BATAILLE DU GUÉ ROBERT LE 26 AOUT EN 1944. LA BATAILLE SANS RESULTAT.» Datant de la seconde guerre mondiale, cette inscription rapporte-t-elle un accrochage entre occupants et maquisards ? Echo d’une bataille lointaine ? Souvenir émouvant, en tout cas, qui retient l’oeil un instant, avant qu’il se lève sur un spectacle de désolation…

A l’intérieur du bâtiment, où l’on ne pénètre que difficilement, à cause des buissons qui en gardent l’entrée, le sol remonte régulièrement jusqu’au mur oriental : là se sont accumulés des débris végétaux – on est ici à l’ombre des deux arbres, dont les feuilles doivent constituer, en automne, un épais tapis – et de nombreuses pierres, tombées du mur méridional ou de la façade occidentale, qui n’a pas conservé son pignon, mais provenant surtout, semble-il, de l’effondrement de la voûte orientale. S’il existait encore, le doute n’est plus permis à l’intérieur de l’édifice : il s’agit manifestement d’une chapelle, probablement romane, dont le tiers oriental était voûté en cul-de-four, la courte « nef» n’ayant apparemment été couverte que d’une charpente. Ne subsistent de la voûte que les arrachements, néanmoins assez caractéristiques, et les massifs arrondis des côtés (fig. 5).

L’histoire de cette ruine est difficile à établir; nul doute qu’elle servit de chapelle castrale à Bagneux, quoique située hors les murs. Elle possède cependant sans doute une origine distincte, et plus ancienne que celle du château qu’elle côtoie. Le cadastre ancien de Bournan, terminé par Alizon en 1832, la représente en effet au coeur d’une parcelle dénommée «pièce de la Chapelle», attenante à celle des «Grandes Fontaines». Sur cette dernière parcelle est dessinée une fontaine, accompagnée d’un édicule circulaire. Puits ? Aménagement de la fontaine ? Il n’est en tout cas pas interdit d’imaginer à cette place, comme à plusieurs autres dans Ie secteur (fontaine Saint-Martin de Manthelan, fontaine de la Bonne-Dame à Ligueil) un ancien culte de l’eau, qui aurait légué au christianisme une fontaine miraculeuse, près de Iaquelle serait venue s’implanter la chapelle (2). Il semble bien qu’il s’agisse là de la chapelle Saint- Hubert, très largement » ignorée par les principaux ouvrages régionalistes (3), mais que l’on retrouve dans quelques rares notes et citations locales. Une ordonnance de visite pastorale de l’archevêque Henri-Marie-Bemardin de Rosset de Fleury, le 3 octobre 1753 reproduite dans le registre paroissial (4) prescrit que « la chapelle de Saint-Hubert sera incessamment réparée (ou « repavée » ?) et mise en état». L’édifice apparaît donc déjà, à l’époque, vétuste. II est probable qu’aucune réparation n’y, sera effectuée, et dans un procès-verbal de visite de l’église de Bournan, en I805, on lit: «plus de chapelle domestique : celle de Saint-Hubert a été démolie à la Révolution» (5). Figurée en pointillés, en tant que ruine, sur le cadastre ancien, la chapelle n’apparaît plus ensuite que sous la plume de Jacques-Marie Rougé, comme faisant I’objet de deux dires traditionnels : «des souterrains profonds faisaient, dans le tuffeau, communiquer Bagneux avec une chapelle extérieure, dite chapelle Saint-Hubert » (6) (légende peut-être inspirée par le très vaste et intéressant souterrain aménagé qui s’étend sous le vieux Bournan ?) ; «la grêle ne tombe jamais sur le champ où se trouve cette chapelle, à cause de la protection du grand Hubert» (7).

Nul ne saurait cependant blâmer le saint chasseur, si, dépité de l’incurie des hommes, il décidait de ménager chichement cette protection. L’état de la chapelle Saint-Hubert, dont, en dépit et à cause des vicissitudes subies depuis plus de deux siècles, les maçonneries ont fait Ia preuve de leur solidité, est aujourd’hui réellement alarmant. Aujourd’hui encore, une intervention efficace et peu coûteuse permettrait la sauvegarde de ce qui reste de la chapelle Saint-Hubert ; l’abattage des deux arbres, le dégagement du lierre et des ronces, un rejointoiement léger, une cicatrisation des arases, un chaînage, et la pose d’une couverture de fortune pourraient lui permettre d’attendre des temps meilleurs. L’ancienneté du bâtiment, Ia rareté des chapelles rurales médiévales conservées dans le secteur, vaudraient même probablement au propriétaire une petite aide des pouvoirs publics… Las ! Le processus de ruine se poursuit inexorablement : la chapelle Saint-Hubert disparaîtra donc, et avec elle sept siècles d’histoire locale… On ne peut se défendre d’un sentiment de tristesse en voyant s’enfoncer dans l’oubli un authentique vestige du Moyen-Age, à l’ombre de deux très beaux édifices médiévaux, i’église classée de Bournan, en faveur de laquelle la commune mène un important effort de restauration, et Ie château inscrit de Bagneux. Dans quelques années, si rien n’est fait, il ne restera probablement que quelques pierres, dont une fouille rapide livrera peut-être des vestiges d’un passé trop légèrement sacrifié… Puisse cette note appeler l’attention sur la chapelle Saint Hubert, avant qu’il soit trop tard…

2023

Depuis les illustrations de 2001, des pierres effondrées de la voûte, du pignon ouest et du mur sud, qui encombraient l’intérieur de la chapelle, ont été écartées, permettant de redécouvrir les vestiges de l’autel et de l’emmarchement. Ce dégagement renforce l’intérêt de ce petit bâtiment. Malheureusement, il n’est pas exclu que ce dégagement, non suivi de protection (« parapluie ») conduise à une accélération de la dégradation. Peut-on imaginer qu’une association de protection et de préservation du patrimoine (Mémoire et Patrimoine en Ligueillois) puisse disposer des moyens matériels et humains pour protéger l’édifice dans l’attente de l’intervention de services spécialisés? Le caractère privé de cette chapelle inciterait naturellement, avant d’envisager une « mise à l’abri » des vestiges, de solliciter l’accord et le soutien du propriétaire du lieu.

Tel est le souhait que nous évoquions en début de post. Tout en rappelant la belle phrase de Victor Hugo: « l’usage d’un monument appartient à son propriétaire ; sa beauté appartient à tout le monde ». Ne serait-il pas dommage de ne pas profiter de toutes les opportunités pour sauver ce qui peut encore l’être de cette chapelle Saint-Hubert de Bournan?

Bibliographie et notes

(1) André Montoux, Vieux loqis de Touraine, tome I, 1974, C.L.D., p. 48, et Philippe Durand, in Bulletin des Amis du Pays Lochois, 1994, p. 95

(2) Monsieur Pierre Audin nous a confirmé qu’il s’agirait de la fontaine de Chémely-Pimbault, considérée autrefois comme miraculeuse.
(3) Même les plus complets, Jean-Xavier Carré de Busserolle, Dictionnaire géographique, historique et biographique d’lndre et Loire, – Mémoires de la Société archéologique de Touraine. boîtes XVII à XXXll, 1878; Robert Ranjard, – La Touraine archéologique. Tours. 1930: Jean-Mary Couderc (s.d.). Dictionnaire des communes de Touraine. C.L.D. Chambray-Les-Tours.

(4) Archives départementale d’Indre et Loire

(5) Archives diocésaines, série 3 F. enquêtes et visites pastorales.

(6) Jacques-Marie Rougé, Voyage en Touraine inconnue. tome II, 1928. p. 112.

(7) Jacques-Marie Rougé Folklore de la Touraine. C.L.D.. Chambray-lès-Tours. I975 ( l° édtion: 1947).

Les publications sur le blog valléedelariolle.fr ne reprendront qu’en janvier 2024

Bonnes Fêtes à tous.

6 réflexions sur “Protéger et sauver la Chapelle Saint-Hubert de Bournan”

  1. Bonjour François
    Souvenir d’une visite, difficile d’accès, mais intéressante.
    Ce site mériterait effectivement d’être sauvegardé.
    Très amicalement et bon Noël
    Bernard

  2. Bonjour,

    « Souvenir d’une visite, difficile d’accès », j’espère au moins que avez bénéficié de l’autorisation du propriétaire pour accéder à la chapelle ?

    Bien à vous.

    Antoine Delay

    1. Le texte du grand Victor Hugo cité dans le post était incomplet.
      Parce qu’il y a des accommodements à tenir pour les intérêts supérieurs, je l’avais délibérément limité.
      Voici donc la citation: « l’usage d’un monument appartient à son propriétaire ; sa beauté appartient à tout le monde. C’est donc dépasser son droit que le détruire ».

  3. Bonjour,

    Avez vous une quelconque notion du droit de la propriété?
    Je précise qu’il s’agit là que d’une citation.

    Dans l’attente de votre réponse,

    Bien à vous,

    1. Votre commentaire m’interpelle et je me dois d’y répondre sérieusement, même si je pense que le le fond de votre question n’est pas une discussion théorique sur le droit de propriété.
      Oui je suis favorable au droit de propriété. Je considère même qu’il est consubstantielle de la liberté. Je ne conteste donc en rien le droit de propriété des propriétaires de Bagneux et de la chapelle Saint Hubert. Ayant fait état de ma visite à cette chapelle, sans autorisation préalable, je m’en suis excusé auprès des propriétaires après qu’ils m’aient fait observer cette faute. Je réitère ces excuses. Et, sans rien en retrancher, je me permets de vous faire observer que ma visite s’est faite sans que je ne franchisse aucune clôture ou limite matérielle qui m’aurait indiqué physiquement un franchissement de propriété. Mais, oui, je n’étais pas chez moi; donc chez quelqu’un autre, et j’aurais dû demander explicitement le droit de visiter.
      Revenons au fond du sujet si vous le voulez bien: êtes vous intéressé par la protection et la restauration de la chapelle Saint Hubert? Moi oui. Je le dis sans revendiquer la moindre part de propriété; uniquement par amour du patrimoine. Je suis par ailleurs responsable d’une association de protection du patrimoine et je peux imaginer que bien d’autres personnes pourraient se porter volontaires pour étudier et imaginer une protection de cette petite chapelle. Bien entendu cette démarche de réflexion initiale ne saurait être faite sans l’accord et la participation des propriétaires. Je suis à votre disposition.
      Dans l’attente de votre réponse.

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