Les chèvres de la Riolle (4): le fromage

Dans les posts précédents nous avons évoqué l’origine des chèvres dans notre vallée, le rôle prééminent joué par Colette de Saint Seine, du château de Grillemont, dans l’amélioration du cheptel caprin local et français, puis la production de lait dans les communes de la Riolle. Il faut maintenant évoquer ce que devient ce lait de chèvre et en particulier son utilisation pour l’élaboration du fromage de Sainte-Maure.

Rappelons que l’élevage caprin en Touraine a été l’objet d’une grande mutation durant les 30 dernières années, marqué par une chute importante du nombre de chèvres (40000 en 1975 pour 28000 en 2015) et du nombre d’élevages (6000 en 1975 pour 200 en 2015). Dans le même temps les performances laitières des chèvres contrôlées montrent à la fois une augmentation du poids de lait produit par chaque chèvre (600 kg en moyenne par période de lactation en 1982, pour 800 en 2006), une augmentation du taux protéique moyen ( TP: 25 g/kg en 1982 pour 32 en 2006), et du taux butyreux ( TB: 31g/kg en 1982 pour 37 en 2006). Globalement, le lait produit augmente donc en quantité et en qualité grâce aux améliorations apportées à l’élevage par les exploitants. Ces éléments favorisent la filière fromagère caprine.

La production de fromage de chèvre dans la région de Sainte-Maure date de plusieurs siècles puisque ce fromage est signalé à l’époque carolingienne puis vanté par Rabelais. D’abord locale, la notoriété de ce fromage fabriqué avec le lait des quelques chèvres de chaque ferme, a gagné Tours puis Paris et la province, grâce au savoir faire d’affineurs qui ont conduit à l’élaboration d’un produit réputé pour sa finesse.

Encore faut-il savoir de quel fromage on parle, sachant que le produit phare est la bûche tronconique de Sainte-Maure. Mais il existe d’autres formes de fromages issus du lait produit par les chèvres de notre région. (Fig1)

La bûche tronconique de Sainte-Maure est un fromage au lait cru entier, à croûte naturelle et à pâte molle. Sa forme est caractéristique: 16 à 18 cm de long, le grand diamètre est de 5,5cm, le petit diamètre est de 4,5cm (attention il ne faut pas entamer le fromage par l’extrémité la plus petite!). Son poids est d’environ 250g et contient 25 % de matière grasse, apportant 294 calories par 100 grammes.

Cette forme est due à l’utilisation d’un moule normalisé dans lequel le caillé (le lait additionné de présure) séjourne pour égouttage pendant une journée. Après démoulage, le fromage est légèrement salé. Une paille de seigle renforçait la bûche et un saupoudrage par de la cendre de sarments de vigne complétait la mise en forme. Actuellement une paille synthétique peut être utilisée; gravée au laser. (Fig 2 et 3)

La croûte du fromage est fine, vermiculée, et parsemée de poudre de charbon qui lui donne sa couleur bleue cendrée. La flore de surface se développe et s’épaissit avec le temps.

La coupe du fromage est franche et lisse. La pâte est d’un blanc pur à ivoire, homogène et fine. Elle est moelleuse et se raffermit avec le temps. (Fig 4)

Au nez le Sainte-Maure de Touraine a une odeur caprine sur la croûte mais son goût est d’abord lactique, sans excès de salinité ni d’acidité, avec des arômes de fruits secs et des notes végétales telles que le foin. On peut y aussi y retrouver un parfum fruité, le plus souvent acidulé, mais équilibré, parfois avec un goût de noisettes quand il est jeune. Le goût de chèvre augmente avec le temps.

Selon les goûts, on pourra préférer un fromage du jour (faisselle ou blanc) vendu en barquette avant la fin de l’égouttage, ou un fromage de quelques jours (frais), ou d’une semaine ou plus (moelleux) ou même de plusieurs semaines (sec), sachant que les conditions d’affinage jouent un rôle important de même que la date de production du lait. Mais, d’à peine égouttée, à affinée depuis plusieurs semaines, la bûche de Sainte-Maure de Touraine est toujours caractérisée par une grande finesse de sa pâte, onctueuse et fondante dans les premiers jours, puis plus sèche, friable et cassante en vieillissant.

En 1978 est créé un label régional « Sainte-Maure de Touraine » qui aboutit en 1990 à l’obtention de l’Appellation d’Origine Contrôlée (AOC). En 2008 l’Appellation d’Origine Protégée (AOP) remplace l’AOC. Un cahier des charges s’impose aux producteurs qui veulent profiter de l’AOP (cahier des charges disponible sur internet https://info.agriculture.gouv.fr) :

  • Zone de collecte du lait limitée au département d’Indre et Loire et à quelques zones limitrophes
  • 3 races de chèvres sont autorisées (Alpine chamoisée, Saanen et Poitevine)
  • Normes pour l’alimentation des animaux
  • Normes pour l’élaboration des fromages
  • Chaque fromage comporte en son centre, pour le rigidifier, une paille de seigle (ou synthétique), précisant le N° d’agrément sanitaire du producteur et l’AOP « Sainte-Maure de Touraine ».

Aujourd’hui l’AOP Sainte-Maure de Touraine est la première appellation de fromage de chèvre parmi les 15 produites en France. En 2018 1847 tonnes de lait ont été commercialisées ce qui représente près de 8 millions de fromages individuels. A cette date il restait 122 éleveurs (dont 33 producteurs fermiers) qui ont produit 20 millions de litres de lait cru entier. Les fromages fermiers ne représentent plus que 23% du tonnage, le reste étant produit par des laiteries industrielles (Verneuil sur Indre, Pont de Ruan, Tournon Saint Martin, Dissay…)

A coté de la bûche de fromage de Sainte-Maure proprement dit (AOP ou non), les producteurs peuvent aussi utiliser leur lait pour des produits un peu différents. Dans les communes de la vallée de la Riolle on peut ainsi trouver à la ferme des fromages de chèvres ronds (format du Selles sur cher) produits avec les mêmes critères, ou des fromages à peine caillés, ou des tommes. Certains proposent des fromages plus proches d’une agriculture visant des standards « biologiques ».  Chacun trouvera son bonheur!

Pierre Desbonds, que nous remercions pour son soutien, a écrit en 2019 dans la conclusion de son article sur « l’Histoire de l’élevage caprin en Touraine » (2):

« En ce début de XXI siècle, élevage caprin est prospère et constitue la production animale la plus rentable de Touraine ». La Riolle a su en profiter.

Bibliographie

(1) Gregory Cynthea « Le Chèvre en folie » Editions CPE

(2) Desbonds Pierre « l’Histoire de l’élevage caprin en Touraine » . Mémoire de l’Académie des Sciences, Arts et Belles Lettres de Touraine. Tome 32, 2019, p 107-123

 

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